Comme le rappelle Sylvain Connac, qui s'appuie sur les travaux de la sociologue Marie Duru-Bellat, pour qui l'organisation de groupes dits "de niveau" produit un effet d'accélération des inégalités qui séparent les élèves, et de confirmation de celles-ci, incompatible avec des objectifs démocratiques pour l'école, la proposition du ministre est assez catastrophique.
On voit mal comment le fait de "séparer le bon grain de l'ivraie", parmi les élèves, favoriserait une réussite égale pour tous. Même si — ne soyons pas "bisounours" — cette pratique reste le vœu secret (ou à demi avoué !) de plus d'un enseignant, l'objectif officiel reste bien de faire réussir tout le monde, et d'apporter un "plus" à chacun des élèves.

Faut-il être ignorant pour voir dans l'installation de groupes de niveau une solution évidente à la réussite de tous les élèves, et avoir un raisonnement bancal, pour penser qu'une organisation dont les faits prouvent qu'elle accentue ouvertement les inégalités entre les élèves, pourrait permettre d'atteindre cet objectif !
Comment expliquer un tel aveuglement, de la part d'un ministre ?

Il est vrai qu'un ministre qui sort de l'Ecole Alsacienne, ne peut avoir de l'école primaire qu'une vision sommaire, surtout quand tout ce qu'il dit prouve une ignorance complète de l'histoire de l'école primaire française.
Or, quand un nouveau PDG est nommé à la tête d'une entreprise, en général, il commence par s'intéresser à son histoire. Ce n'est pas l'idée de monsieur Attal, qui préfère partir de zéro et prétend avoir des ambitions pour l'améliorer. La question alors se pose immédiatement : comment peut-on améliorer une entreprise, si on ne connaît rien de son passé ?

Quelqu'un ne pourrait-il pas le prévenir que la question des groupes de niveau a fait l'objet de tout un travail collectif, à une époque où la recherche pédagogique méritait vraiment cet adjectif, ainsi que celui de "démocratique"?
Il est vrai que c'était "avant" : la recherche ne se faisait pas en laboratoire, mais sur l'ensemble des écoles primaires de France, qui avaient accepté d'y participer : plus de cent groupes scolaires y étaient engagés. J'ai participé à des colloques sur la pédagogie du français présidés par les plus importants chercheurs de l'époque, où étaient présents, sur deux, voire trois semaines, plusieurs centaines de collègues.
Précisons qu'il y en avait autant pour les maths et les autres disciplines.

C'était surtout un travail collectif approfondi : on travaillait sur ds hypothèses proposées par des scientifiques : on organisait des séances destinées à mettre au point des expérimentations durant quelques semaines dans les classes concernées, puis on se retrouvait pour discuter des premiers constats et rectifier le travail pour les semaines à venir, avant de nouvelles rencontres.
Chaque directeur de recherche rédigeait des rapports, bases de travail pour les semaines suivantes. C'était une organisation véritablement démocratique... On était loin des décisions personnelles d'un ministre dont l'unique souci est de se faire valoir, à qui le souci d'aider les collègues enseignants est loin d'être une priorité.
Les ministres de l'époque, qui nous ont soutenus ont été successivement Olivier Guichard qui a vraiment aidé le démarrage de ces recherches, puis quatre ministres, dont Alain Savary, qui a tout fait pour les défendre. Les autres l'ont plus ou moins tolérée, jusqu'à ce que Jean-Pierre Chevènement annonce "la fin de la récré" (la formule est de lui !!) : plus de "recherche", mais du sérieux, car, maintenant : on sait !!
C'était les années 70...
L'âge d'or de la recherche en pédagogie était terminé... Qui pour le relancer ?
Gabriel Attal ?