C'est là un sujet maintes fois traité partout, y compris sur ce blog. Mais, disait André Gide :"Tout est dit, mais comme personne n'écoute, il faut toujours recommencer !"
Recommençons donc.
Personnellement, je suis toujours admirative — et septique — devant ceux et celles qui osent, à la lumière de leur petite chandelle personnelle, affirmer avec tant d'assurance qu'ils savent où en sont leurs élèves. En fait, on n'en sait généralement rien du tout, parce que c'est impossible à savoir. Et ce ne sont pas les évaluations officielles, ou non, qui peuvent modifier la chose.
On oublie, trop facilement, que, pour les savoirs scolaires, c'est dans l'humain qu'on se trouve, lequel n'a jamais fait bon ménage avec la rigueur mathématique.
Et pourtant, on s'obstine à mesurer quand même, si bien que le résultat est qu'on trompe tout le monde avec des données qui n'en sont pas, et qui bousillent la pensée de tous, ceux qui les lisent, et ceux qui les subissent.

Le "niveau" des élèves, est-ce important ?

Question qui en entraîne d'autres.

1- Est-il si nécessaire que cela de prévoir ces moments dits "d'évaluation", qui gâchent l'ambiance de travail sans apporter d'informations indispensables ?
La réponse, généralement fournie, est double :
* on a besoin d'avoir un retour sur le travail fourni, pour s'assurer qu'il a bien été utile ;
* on a besoin de pouvoir repérer en quoi on peut ou doit l'améliorer.
Problème : il est rare que l'évaluation en question apporte clairement ces informations, que l'on peut obtenir bien plus clairement par des régulations et des entretiens avec les élèves.
Alors à quoi servent-elles ?

L'ami Laurent répondra sûrement, comme il l'a fait à maintes reprises, que c'est essentiellement pour trier les élèves, en feignant d'ignorer que les différences de réussite sont liées beaucoup plus aux différences de classes sociales, qu'à celles de moyens intellectuels. Il a sûrement raison.
Quoi qu'il en soit, il est sage de ne leur accorder aucune valeur, de cesser de perdre du temps à les imposer aux élèves, et d'imposer leur corrections aux collègues, en même temps, pour travailler à convaincre les collègues et les autorités d'en faire autant.
Vœu pieux, dérisoire, mais qui n'est pas inutile : à force de le répéter, cela finira bien par être entendu un jour ...

En revanche un certain nombre de constats s'imposent, qui jettent une lumière bien complémentaire sur cette question, et qu'il faut diffuser partout.

1- Il faut que chacun admette qu'on ne saura jamais tout de nos élèves, notamment ce qu'ils savent et ce qu'ils ignorent : les seuls à le savoir, c'est eux, et encore, pas toujours et pas tous...
Il est donc inutile de concevoir des moyens variés de le savoir, des "évaluations", nationales ou non, activités dont le seul résultat est de faire perdre un temps précieux, pendant lequel on ne travaille pas à apprendre.

2- Sans perdre du temps, donc, à essayer de savoir, ce que nous ne saurons jamais, nous avons, au moins, le devoir de leur apporter le maximum, et ce, sans relâche, et SURTOUT, sans vouloir savoir ce qu'ils en font.

3- En revanche, nous avons à prévoir une organisation de la classe, qui leur donne la parole et permettent leurs questions.

4- Nous devons aussi être convaincus que les différences qui séparent les enfants ne sont jamais des différences de valeur, même si certaines semblent parfois handicaper la réussite scolaire. Il ne faut jamais oublier que les disciplines, dites fondamentales, sont loin d'être plus importantes que les autres : à rappeler souvent, car peu d'enseignants en sont convaincus.

Plus les années passent sur moi, plus je réfléchis à tous ces problèmes, et plus je suis persuadée qu'on se fourvoie de deux manières : vouloir, à tout prix savoir où en sont nos élèves, et chercher ce qui serait le plus important à leur apprendre : tout est important et capital, quoique différemment selon les enfants.
Aussi faut-il donner tout à tout le monde, enfin tout ce qu'on peut, avec les moyens du bord. Quant aux programmes imposés officiellement, ils sont si évidents à l'école primaire, qu'ils ne peuvent guère gêner les collègues : c'est au collège et au lycée, qu'ils sont contraignants

Puisque nous ne saurons jamais exactement où en sont les élèves, ni ce qu'ils font de ce que nous leur enseignons, force est d'admettre que la notion de niveau des élèves est en train de se déliter totalement, et qu'on perd du temps à vouloir la cerner, ou (ce qui est encore plus bête), à vouloir la mesurer.
En fait, le niveau des élèves est une notion vide, sans intérêt, pour personne, ni les élèves ni l'enseignant, mais qui, malheureusement, fait image.
Une image redoutable.
Une image qui fausse le regard et dérange la pensée.
C'est aussi une image absurde et doublement erronée : le terme de "niveau" évoque une hauteur, liée à la coriace croyance que apprendre ce serait empiler des savoirs.
Il n'en est rien : apprendre, c'est grandir et se transformer. Et ça, ça ne se voit pas bien de l'extérieur.
Mais c'est comme ça !
Elle est là, l'erreur de notre conception de l'évaluation : de l'extérieur, nous ne voyons rien de ce qui se passe chez les élèves : le temps consommé à vouloir le voir est donc inutilement perdu, puisque, comme nous l'avons dit plus haut, ils sont seuls à savoir ce qu'ils savent.
Il s'ensuit que nous avons besoin d'eux pour pouvoir les aider !

Sans chercher à savoir où ils en sont, nous avons donc uniquement à travailler avec nos élèves, tels qu'ils sont, en partant du principe qu'ils sont tous capables d'apprendre, et à échanger avec eux, par le biais notamment de régulations trimestrielles, au cours desquelles, les difficultés variables, d'un élève à l'autre, sont mises en commun par le travail de groupe. Ce qui va les aider, ce sont des mises au point du vécu des élèves, avec les rectifications que leur ressenti demande.
Impossible de s'en passer.

De toute façon, dans un pays, qui clame volontiers sa fierté d'être une démocratie — même s'il a des progrès à faire en ce sens — les décideurs, logiquement, ne peuvent que préconiser une école démocratique, et ce, au nom d'un principe évident, celui de la cohérence indispensable entre un pays et son école.
Contradictoire avec celle de démocratie, la notion de "niveau des élèves" — le mot et la chose — doit donc disparaître du vocabulaire de l'éducation.
Parce qu'il semble que l'évidence de ce constat ait du mal à s'installer dans l'esprit de nos décideurs, comme, hélas, dans celui d'une part importante de nos collègues, il nous revient la tâche de continuer à travailler pour et avec les élèves, tout en fredonnant cette ritournelle, à l'écrire partout, et la chanter sur tous les tons, et avec toutes les musiques : Non, non et non, le niveau des élèves ne baisse pas, et ne peut pas baisser... Pourquoi ? Tout simplement, parce que le niveau des élèves, ça n'existe pas.