Notre ministre aime ses professeurs : c'est ce qu'il affirme. Et déjà cela inquiète.
Il est vrai que, quand on est enseignant, on n'attend pas de son ministre qu'il vous aime : de sa part, on peut même dire c'est bizarre et peu rassurant : est-il bon de mêler l'affectif aux liens sociaux ? Ce qu'on espère, c'est qu'il écoute les enseignants, qu'il prenne en compte leurs compétences, et leurs problèmes, avec les solutions qu'ils proposent, et qu'éventuellement, il les analyse avec eux, pour en décider collectivement.
On en est loin, et plus que loin encore, depuis que vient de ressurgir une proposition nouvelle (??), celle d'une organisation des classes en groupes de niveau.

Ce n'est pas la première fois que réapparaît ce danger : comme la coqueluche, il revient périodiquement.
En novembre 2012, un billet de ce blog — déjà onze ans sont passés !— sous le titre "à quoi sert l'école ?", on pouvait lire ceci :
Un article, dans le Nouvel Obs de cette semaine-là, signé Abdelmajid Arbouche (Doctorant à Paris IV Sorbonne) faisait une analyse inquiétante sur l'école, aux relents douteux : Si l'on veut promouvoir une école de qualité et de réussite, il faut par-dessus tout éviter d'en faire un instrument de lutte contre l'inégalité sociale."
A quoi le blog avait répondu :
Or, c'est justement, parce que la société est bâtie sur des inégalités sociales, que l'école doit exister : il y a des enfants qui n'ont que l'école pour s'en sortir, et c'est pour eux qu'elle est là. Il faut bien comprendre qu'en toute logique, aucune raison ne peut justifier qu'un enfant qui vit dans un milieux socialement défavorisé ait plus de difficultés scolaires qu'un autre. Voir dans ce lien une évidence est pure aliénation.

Donc, pour qu'elle joue ce rôle, il faut que certaines conditions soient remplies, et notamment qu'une ambiance de classe, positive, collective, et rassurante, baigne le travail d'apprentissage, que les règles de fonctionnement aient été négociées ensemble, et que les évaluations soient toujours participatives. Autrement dit, que l'organisation de la classe — et donc de l'école tout entière — soit une organisation démocratique, où les pouvoirs sont partagés, et non entre les mains d'une seule et même personne, sorte de dictateur dans son petit domaine.

Le travail par groupe semble en cohérence avec cette idée mais il laisse en suspens l'essentiel de l'organisation : preuve en est l'interprétation que fait monsieur Attal de cette formule. Pour lui, la solution serait la mise en place dans la classe de "groupes de niveau", apparemment plus logique : on met ensemble ceux qui ont le même type de savoirs, et donc les mêmes besoins.
Plus logique (et encore !), mais ni plus juste, ni plus facile : outre que le repérage des élèves, ayant prétendument les mêmes besoins, ne peut être effectué qu'avec un à-peu-près des plus frustrants, on a démontré depuis longtemps à quel point cette pratique est loin de la démocratie !
On peut objecter que notre ministre n'en est pas là du tout — pourtant appartenant à un gouvernement qui s'affirme démocratique — ce qui n'est pas contestable. L'ennui, c'est qu'un ministre qui ne propose que de la dictature dans les écoles, ne peut avoir qu'une école d'ancien régime...

Quand, nos ministres vont-ils enfin comprendre que, si nous sommes en démocratie, comme ils le revendiquent, sur tous les tons et à tous les étages de l'Education Nationale, alors il faut une école de la même eau... Sinon, l'ensemble est bancal ! Et puis — c'est un des avantages de la démocratie — nous sommes alors dans l'humain, même si le ministre et ses collègues l'oublient régulièrement et l'ignorent, passant leur temps à décider à la place des élèves, totalement absents des débats les concernant. Il est pourtant absolument nécessaire de comprendre que l'école ne remplira correctement sa tâche que si elle, donc la classe, devient enfin un lieu de démocratie c'est-à-dire où les trois pouvoirs sont partagés, et non tenus par la même personne.
L'organisation des groupes fait alors partie des tâches qui appartiennent aux élèves, avec un résultat, où les affinités joueront le rôle principal— ce qui déplaît sans doute à l'enseignant — mais qui est nécessaire à l'efficacité du système, car les groupes d'affinité sont les meilleurs, et les plus efficaces. Quant au fait qu'ils ne coïncident généralement pas avec ceux de l'enseignant, je ne vois pas où cela devrait faire problème.

Donc, comme le disait Laurent Carle en janvier 2016, sur ce même blog.
Pas de pédagogie sans démocratie, et réciproquement.
Une école (ou une classe) pédagogique en phase avec une société démocratique se donnerait comme objectifs de conduire ses élèves vers l’autonomie dans les démarches d’apprentissage, de leur apprendre l’initiative, l’exercice de la liberté, la coopération avec les camarades, l’entraide et la résolution démocratique des conflits dans le respect du règlement intérieur et du code civil.

Ce qui, précisément, remet à leur place, les minables conseils du ministre avec ses groupes de niveau, bien autoritairement conçus par le maître.