Nous avons déjà, et même plusieurs reprises, évoqué cette question préoccupante de l'évaluationnite aigüe, qui, périodiquement, refait surface, pour envahir le temps et l'espace du travail scolaire.
Cette sorte de manie, qui consiste à arrêter à tout bout de champ ce qu'on est en train de faire, pour savoir où l'on en est, est une véritable plaie, un virus qui, hébergé chez un Ministre de l'Education Nationale, en 2017, a contaminé son entourage, puis tous ceux qui l'ont suivi, installant une véritable épidémie, un trouble obsessionnel compulsif, que rien ne semble capable d'arrêter.
Depuis cette date, sous prétexte d'avoir l'air sérieux et rigoureux, des évaluations nationales sont périodiquement imposées à toutes les écoles. C'est impressionnant.
Mais elles vont servir à quoi ?
A faire du mal, sans apporter la moindre information utile.

On remarque d'abord que cela consomme une quantité non négligeable de temps, pendant lequel les enfants n'apprennent rien. Pire, les apprentissages mis en route auparavant sont stoppés, avec de gros risques d'oublis et une grande probabilité d'avoir à les reprendre, souvent à zéro.
Ces oublis inévitables ont un impact évident sur la confiance que les enfants mettent en eux. Si bien que, loin d'apporter de précieuses informations destinées à améliorer la manière de travailler, on peut dire qu'elles ont surtout pour effet, d'handicaper par avance le travail ultérieur.
On cherche vainement l'intérêt pédagogique d'une telle manœuvre.

La raison est évidente : rien de pédagogique là-dedans en fait, mais de la politique à l'état pur. Il s'agit, pour le Ministre de laisser son nom dans l'histoire de l'école primaire...
Seulement, voilà : tout le monde n'a pas l'étoffe d'un Jean Zay, ou d'Alain Savary... Alors, créer une évaluation nationale, c'est déjà gagner un soupçon de notoriété, et sans se fatiguer outre mesure...
Reste à savoir si c'est utile pour les élèves...

Comme je l'ai déjà dit en 2017, et redit en juillet dernier, des évaluations ne peuvent avoir de sens qu'en toute fin de session de travail : jamais durant leur cours, car elles auraient pour effet de le perturber et de nuire à leur efficacité. Ce n'est pas au milieu du chemin qu'on doit chercher à repérer où l'on en est.
Et si l'on pense que ce serait un moyen de savoir à temps que l'on se fourvoie, c'est là qu'on se trompe : en général, c'est trop tard ! C'est avant, qu'il faut y réfléchir : quand le travail est lancé, surtout, on ne doit plus l'arrêter : on va jusqu'au bout, même si l'on a l'impression qu'on se trompe... Et ce, pour une raison majeure : qu'elle soit erronée ou non, ce n'est qu'à l'arrivée qu'on le saura.

Attendu que la meilleure organisation de l'année est une organisation par trimestres, démocratiquement prévue, dès la première semaine de l'année, avec toute la classe, ce n'est qu'à la fin de chaque trimestre que peuvent avoir lieu des évaluations, avec ou sans ministre. Et si celui-ci veut y assister, ce ne peut être qu'en accord avec cette organisation, en la perturbant le moins possible : même quand on est ministre, on se doit, ce me semble, de respecter le fonctionnement des classes d'élèves, et s'y adapter. I
l faudrait le leur dire, car ils semblent souvent l'ignorer.
On n'évalue pas à n'importe quel moment, et ça ne doit pas venir, comme ça, d'un subit désir, qu'il soit ou non ministériel : on connaît, entre autres, cette grave dérive qu'est, dans une classe, l'évaluation-punition. C'est le plus navrant des contresens pédagogiques ; les évaluations ministérielles en sont un autre.
Du reste, toute évaluation, venue ou non de l'extérieur, pendant l'année ne peut être qu'inutile, dans le meilleur des cas, et nocive, voire catastrophique, dans la majorité de ceux-ci : si, comme ce fut le cas, elle est, en plus, parachutée sur les classes primaires, en cours d'année, elle devient carrément nocive à tous, aux élèves, de façon évidente, et aux enseignants, pris en étau entre leur propre organisation et ces injonctions de pure dictature, véritable camouflet pour eux.

Comme la langue d'Esope, l'évaluation peut être la meilleure et la pire des choses pédagogiques : la citation d'Eléanore qui a lancé ce billet nous le rappelle : c'est que l'évaluation à l'école est souvent le lieu des pires dérives, et, présentant l'avantage d'être bien visible, et beaucoup plus facilement montrable à l'Inspecteur, que le travail effectué, a tendance à se substituer à lui. "J'évalue le travail, donc j'ai travaillé" : même si ce raisonnement est faussé par la réalité, il fonctionne quand même et peut convaincre.

Pour avoir eu maintes fois l'occasion de confirmer ce désolant constat, l'hérétique que je suis en est arrivée, depuis fort longtemps, à préférer, de beaucoup, ceux qui n'ont vraiment pas le temps d'évaluer, parce qu'ils travaillent énormément, à ceux, nombreux, qui préfèrent passer leur temps à évaluer du travail, qui n'a pas toujours eu lieu...
Croyez-moi, ils sont plus nombreux qu'on ne croit, car c'est très possible : certains élèves savent déjà ce que l'enseignant a à leur dire, donc, on peut évaluer, ce qu'il était inutile de leur apprendre !
Quant aux autres... (sans commentaire ! )