Les événements en question, on les connaît : un jeune de 17 ans, prénommé Nahel, qui a osé continuer d'avancer malgré les avertissements de la police, a été alors abattu par le policier qui le lui demandait.
Plus que l'événement, ce sont les comptes-rendus, qui sont ici intéressants. Ils sont fort divers et foisonnent dans les médias sur ce fait divers. Yann Fievet, sous le titre "Médias aux ordres", en fait un rappel éloquent, présenté par lui comme un "florilège d'insanités journalistiques". Pédagogiquement cet événement, très grave, doit faire l'objet d'une réflexion commune en classe.
Mais ne nous leurrons pas : peu d'enseignants sans doute auront cette audace. Et pourtant...

Tous les enfants, même très jeunes, en ont entendu parler chez eux, et ils ont entendu le même florilège d'insanités journalistiques, encore aggravé par les interprétations de l'opinion populaire.
Il me semble que tenter de les en protéger est nécessaire : c'est pour cela qu'il faut oser en parler en classe, et, notamment, des récits qui en sont fait dans les médias, extrêmement différents, en fonction des personnes et des types de médias, et relayés, on ne sait comment, dans les familles.
Selon les uns, le récit porte sur l'âge du jeune Nahel, tué à l'âge de dix-sept ans, pour refus d'obtempérer, et pour les autres, sur le passé de lui-ci, qui ne semble pas entièrement sans reproches, notamment sur le fait qu'il lui est arrivé de conduire sans permis : à cette affirmation, on peut répondre en demandant que les jeunes de dix-sept ans qui ont attendu d'avoir leur permis pour conduire, lui jettent la première pierre...
Il est clair que le choix du récit ne se fait pas par hasard : motivations, et conséquences de celles-ci varient d'un récit à l'autre : selon le détail de l'événement choisi, la responsabilité de l'événement glisse tout naturellement de Nahel, vers le policier.
Et il est surtout très intéressant de faire remarquer aux élèves, les deux grandes directions que l'on y observe : ceux qui, d'avance, défendent le policier, et ceux qui le condamnent, et de les faire réfléchir sur ce choix, en notant qu'ils n'ont, l'un et l'autre, ni la même importance morale, ni la même justification : ne pas obtempérer à un ordre de policier, et ôter la vie à celui qui n'obtempère pas, ce sont là deux actes qui ne sont pas à égalité de gravité. En aucun cas, le second ne saurait être considéré comme une réponse légitime au premier.
Encore faut-il justifier pourquoi, et creuser, pour trouver celle qui serait légitime.

C'est sur ce point qu'il me semble important de faire réfléchir les élèves, et même, de les faire travailler. Je verrais bien un CM2, et plus encore une classe de collège, concevoir en petits groupes, des plaidoiries défendant chacun des deux choix possibles, étant bien entendu que le choix du policier doit alors être modifié : tuer le jeune homme ne pourrait, en aucun cas, se justifier. Seul, permettrait de l'envisager le cas où celui-ci mettrait en danger la vie des autres (ce qui est sans rapport avec la situation), et bien sûr, même dans ce cas, si aucune autre solution n'est possible.

Si d'aucuns se récrient, que c'est trop grave pour un CM2, — et même pour une sixième de collège — je répondrais, comme je le fais chaque fois, que laisser les enfants se débrouiller tout seuls avec des questions si difficiles à maîtriser, qu'ils entendent plus ou moins clairement chez eux, est infiniment plus dangereux : en classe, au moins certaines choses seront dites et, si la classe est ouverte à la liberté des échanges, sous la direction d'un (ou une) enseignant(e), seul(e) capable de leur répondre par des explications claires, dans un langage à leur portée, elles seront dites de manière à être comprises.
Et c'est ce qui importe.

Pour moi, à côté des règles de l'accord du participe, et des lois de la gravitation universelle, apprendre à comprendre les événements, que les réseaux sociaux et les médias mettent à la portée des enfants, sans éclairage aucun — et qui risquent d'occuper dangereusement leur esprit si personne ne les éclaire — ne peut que faire partie du travail de l'école : même si les programmes, toujours en retard d'une guerre, n'en parlent pas ouvertement, c'est, là, chose essentielle, plus essentielle que les programmes scolaires, qui du reste, se répétant d'année en année, seront, de toute façon, travaillés un jour.

On rejoint ici une question qui, depuis qu'elle existe, fait débat à l'école : doit-on parler des événements, touchant toujours plus ou moins à la politique, bannie, comme on sait, de l'école, sanctuaire sacré et protégé de ce type de salissures ?
Pour moi, cette question n'en est pas une. Voyons, le simple fait d'enseigner à l'école n'est-il pas, en soi un acte politique ? Leur apprendre à réfléchir, leur faire découvrir que des erreurs ont pu être commises dans le passé, n'est-ce pas les sortir de la soumission ?
Pourquoi serait-il indécent, ou dangereux, de faire la même choses avec les événements du présent ? Développer leur esprit critique, est-ce sans conséquences, sur leur comportement ?
Où est la neutralité ?
Je me suis toujours insurgée contre cette frilosité hypocrite de la prétendue pureté politique de l'école : rien n'est plus politique que le métier d'enseignant !
Il faut voir les choses en face : les choix pédagogiques sont toujours des choix politiques : enseigner, c'est œuvrer pour que tout le monde comprenne ce que signifie vivre en société, c'est oser remettre en question les évidences, et faire réfléchir sur ce qu'apportent les savoirs qu'on y construit...
C'est quoi, sinon faire de la politique ?