"A l'école la politique n'a pas sa place." L'école doit être un sanctuaire; très loin de ces choses : on est là pour apprendre, un point c'est tout"
Sans blague !
Comme si apprendre, n'était pas, en soi, un acte politique ! Aurait-il échappé à ceux qui serinent cette antienne, que, transmettre des savoirs, c'est forcément transmettre du pouvoir ?
Rien n'est plus politique que l'école, en soi.
Et ce n'est pas un hasard si elle fut si longtemps réservée uniquement à ceux qui, devenus adultes, feraient partie de la haute société.

Qu'en est-il aujourd'hui, avec notre "école pour tous", gratuite, laïque et obligatoire ?
On reproche souvent à notre équipe ministérielle de faire "reculer" l'école... C'est là un reproche qu'on pourrait qualifier d'optimiste : il semble croire que cette dernière avait réussi à avancer auparavant... Quelle naïveté !
Il suffit de regarder les faits.
Dans l'école d'aujourd'hui, et depuis quelques décennies, en dépit des efforts de beaucoup d'enseignants, et de tous les mouvements pédagogiques qui œuvrent pour que cela change, on voit bien que ceux qui réussissent sont, pour une large majorité, ceux qui auraient réussi de toute façon, même sans elle. Il n'est que voir les statistiques...
Des exceptions existent, certes, mais elles sont si rares, qu'on est obligé de les monter en épingles désespérées, pour limiter un peu leur rareté.
Cette continuité dans les faits invite à s'interroger sur les causes de celle-ci : pour avoir une telle constance dans les résultats, est-il possible, qu'elle soit de hasard ?
Sûrement pas.

A-t-on des preuves d'une telle volonté ?

Hélas, oui.
Il ne faut pas oublier qu'une école ouverte à tous, quels qu'ils soient, à la fois obligatoirement et gratuitement, est chose terriblement dangereuse pour le Pouvoir. Si tout le monde sait lire et entre les lignes, que deviennent les privilèges ? Aussi, est-on en droit de voir dans ces réussites, curieusement orientées socialement, comme un souci de limiter les dégâts que cette imprudente invention risque d'entraîner.
Et, sur ce point, on doit reconnaître que l'équipe ministérielle actuelle met les bouchées doubles...

* Quand un ministre exige que tous les enfant, entre trois et sept ans, soient privés des apprentissages moteurs dont ils ont besoin pour construire les autres apprentissages, ainsi le rappelle Changeux (1), au profit d'activités assises, "intellectuelles" — abstraites, surtout : reconnaître des "sons", repérer des syllabes sans signification, etc.— tout-à-fait étrangères à ce qu'ils connaissent, et nettement hors des moyens d'enfants de cet âge, c'est bien une discrimination sociale qu'on installe : qui va pouvoir en tirer autre chose que du stress et une dévalorisation de soi, sinon ceux qui vivent dans des milieux culturellement favorisés, (et encore, sûrement pas tous !),

* Quand on fait travailler sur mémoire pure (inégalement présente chez les individus et infidèle de surcroît), et que la recherche documentaire n'est travaillée qu'en tant de discipline à part, et reste interdite durant les travaux effectuée en classe, n'est-ce pas là, une volonté de priver les élèves d'un fonctionnement adulte, qui pourrait aider à réussir, dans leurs études, ceux qui n'ont que l'école pour "s'en sortir" ?

* Quand on n'autorise que du travail individuel, évalué individuellement toujours, ne livre-t-on pas les enfants aux seules ressources, reçues de leur famille ? N'est-ce pas, là encore une discrimination sociale souhaitée ? Quels sont ceux qui peuvent supporter un tel stress, sinon les petits, heureux chez eux, où ils ont pu acquérir une belle et bonne confiance en eux ?

* Quand on évalue à tour de bras, sans tenir compte du fait qu'un apprentissage nécessite de mûrir longuement pour devenir un savoir, n'est-ce pas pour trier les élèves et repérer les plus forts — dont on sait pourquoi ils le sont ?

Si ce ne sont pas là des actes politiques, qu'est-ce que c'est ?

Quant à l'efficacité, mise en avant par le ministre, là, on ne peut lui reprocher un mensonge : c'est bien l'efficacité qu'il vise. Mais comme il se garde bien de préciser en quoi elle consiste, force est de constater qu'il ne peut pas s'agir d'une efficacité pédagogique, puisque ses réformes ne favorisent que les enfants culturellement favorisés. Elle est politique, cette efficacité..

De cette belle école pour tous, — qui portait en elle le pouvoir de changer tant de choses, et notamment tout le système social, en rendant possible l'accès aux savoirs pour tout le monde ! —, les gouvernements qui se sont succédé depuis sa création, en dehors d'un ou deux, que l'on fit très vite taire de diverses manières, n'ont fait qu'œuvrer à limiter ce pouvoir. Et les réformes blanquerriennes, ne font qu'accélérer ce travail de sape, pour conforter, consolider, dans la durée, la direction amorcée dès les premiers pas de cette école, celle de maintenir la situation antérieure à sa création, celle qui n'ouvrait les apprentissages qu'à ceux qui deviendraient les maîtres.

Bien sûr que l'école est politique ! Et c'est en affirmant le contraire, pour endormir les méfiances, qu'on empêche les collègues, tous soucieux d'efficacité et de justice, de savoir que le moindre exercice, le choix des textes et des énoncés de problème, le choix de ce qui est autorisé en classe et de ce qui y est interdit, la manière de corriger le travail, de mettre ou non des notes, la manière dont on parle aux élèves, tout cela correspond à des choix politiques...
Rien n'est plus dangereux qu'un choix politique dont on n'a pas conscience...

Tiens, nous voilà rendus à la formation des enseignants...
Que celle-ci soit, à ce point, conçue pour ne pas donner aux futurs enseignants de tels savoirs, pourtant indispensables à faire vivre une "école pour tous", peut-il être un hasard ?
Une telle cohérence d'erreurs, ou d'oublis peut-elle raisonnablement être interprétée comme involontaire  ?
Va savoir !!

(1) J.P. Changeux : "L''Homme neuronal" 1983. Voir l'analyse très complète qu'en a donnée Charles Hadji dans la revue française de pédagogie en 1984.