Deux évidences s'imposent pour préparer l'école d'après :
1- Empêcher à tout prix que réapparaissent les évaluations-Blanquer, celles du primaire en priorité et les autres.
2- Eclairer et préciser de façon nette et incontestable, la notion d'évaluation dans les apprentissages.

Mais pour justifier la première évidence il faut avoir développé la seconde. La première raison, en effet, de voir disparaître ces évaluations officielles, c'est qu'elles reposent sur des ignorances graves de ce que signifie "évaluer des apprentissages"

En matière d'éducation et d'apprentissage, qu'est-ce qu'une "évaluation" ?

L'abondante littérature sur ce sujet, apporte à cette question un nombre impressionnant de réponses savantes, aux adjectifs agaçants (diagnostique, formative, sommative, normative, critériée, etc.) qui découragent généralement ceux qui voudraient comprendre.
En fait, pour ce qui concerne l'école et les apprentissages, il n'en existe effectivement que deux,qui se différencient par leur rôle :
* une évaluation qui clôt les apprentissages, en attestant de la présence des compétences indispensables à l'exercice d'une profession ou à l'entrée dans un nouveau cycle d'apprentissages ;
* une évaluation qui accompagne les apprentissages, pour en réguler les avancées.
Précisons que "l'évaluation diagnostique", souvent présentée comme essentielle, est à rejeter : on n'a aucun "diagnostic" à faire sur les élèves, attendu que nous ne sommes ni médecins ni voyants ! On a, en revanche, à les accueillir tels qu'ils sont, à chercher à les comprendre, surtout en évitant l'arsenal prétentieux et inutile du "diagnostic".

Quel est donc le rôle de chacune des deux formes d'évaluation des apprentissages ?

1- Celle qui clôt les apprentissages, qu'on appelle "sommative " ou (ce qui est plus clair), "certificative", est à la fois indispensable (prendrait-on l'avion si le pilote s'était "auto-évalué" ?), et garante de la liberté républicaine. C'est en effet à l'instauration de la République, qu'on la doit : sous l'Ancien Régime, les charges étaient achetées : c'est la République qui a exigé que les compétences nécessaires à une profession soient attestées et certifiées, par des personnes extérieures à la formation, sans aucun lien avec les candidats, pour avoir à un maximum d'objectivité.
En 68, il a fallu rappeler cette évidence à tous ceux qui étourdiment hurlaient la nécessité d'abolir toute forme d'évaluation...
Que les modalités de cette évaluation ne soient pas toujours à la hauteur de leur mission, force est de l'admettre : s'il est vrai que l'évaluation des chirurgiens, des pilotes d'avion, semble relativement bien conçue et rassurante, il n'en est pas de même pour celle des enseignants, par exemple ! Cherchez l'erreur !

Quoi qu'il en soit, il reste évident que ce type d'évaluation n'a sa place que lorsque tout l'apprentissage est terminé. Problème : cette évidence est loin d'en être une pour pas mal de gens, parmi lesquels figure en bonne place l'équipe ministérielle, qui n'hésite pas à en mettre trois rien qu'au CP !
Comment expliquer un tel contresens, commis en haut lieu, sur ce type d'évaluation ?
La raison en est que ceux de cette équipe ont quelques lacunes sur les processus de l'apprentissage.
Ils en sont encore à penser que apprendre serait entasser des savoirs dans un coin du cerveau, pour les garder au chaud en attendant d'en avoir besoin. Exactement comme un compte en banque, que l'on regarde grossir pour en vérifier le montant, tel le Père Goriot se réchauffant devant son tas d'or...
Et comme pour le compte en banque, il arrive que ce montant déçoive et inquiète, devant la couleur rouge apparue intempestivement dans les écritures.

Seulement voilà : il n'y a rien de commun entre les apprentissages et le compte en banque.
* D'abord, l'esprit humain ne stocke pas les connaissances : il s'en sert. Et quand il ne s'en sert plus, elles s'en vont ! Chacun en a la preuve dans sa propre expérience : trente ans après, que nous reste-t-il de tout ce que nous savions pour passer nos diplômes, et que nous n'avons plus utilisé depuis ? On répond, en général, que cela reviendrait vite en cas de besoin : je peux témoigner que c'est loin d'être vrai : seules des bribes honteuses reviennent... Les vrais savoirs, eux, sont partis !

* Ensuite, ce n'est pas parce que l'enseignant vient de mettre dans ma tête des connaissances nouvelles, que je peux m'en servir et que je les ai acquises : il me faudra les rencontrer souvent et pendant longtemps avant qu'elles ne soient "à moi". Toute évaluation immédiate après une "leçon" est une sottise : on commence enfin à s'en apercevoir.

* Enfin, tout le monde ne les intègre pas de la même manière, ni à la même vitesse, si bien que toute évaluation, toute vérification, effectuée dans la période d'apprentissages, a pour effet de casser le processus de ceux-ci : à ce moment-là les enfants n'en sont pas tous au même point, même s'ils ont eu les mêmes "leçons". En fait, chaque enfant en a pris ce qui pouvait s'accrocher à ses savoirs précédents, lesquels ne sont évidemment pas les mêmes, d'un enfant à l'autre et une évaluation ne peut être que traumatisante pour une bonne partie d'entre eux.

* Mais, comme l'évaluation-Blanquer, est bien de ce type, je pense indispensable d'ajouter, pour finir, cette formule essentielle que Pierre Frakowiak se plaît souvent à rappeler : Parler de l’évaluation des élèves, c’est parler de l’évaluation des pratiques pédagogiques. Il est donc stupide de prétendre piloter par les résultats des élèves, quand on est incapable d’identifier et d’évaluer les pratiques pédagogiques qui les produisent.

2- Mais comme, quelles que soient les pratiques, il faut nécessairement savoir, par moments, où l'on en est durant cette période, longue,d'apprentissages, on a besoin d'une autre sorte d'évaluation, celle qui accompagne ceux-ci, et qui porte non sur les acquis, mais sur la manière dont ils ont été appris et vécus.
Apprendre est chose douloureuse et difficile, dans la mesure où intégrer de nouveaux savoirs implique une transformation, et une destruction partielle de ce qu'on croyait jusque-là ; c'est pourquoi, le vécu des apprentissages doit être protégé, surveillé, dépourvu de tout stress, pour que le résultat soit celui qu'on attend.
C'est le rôle de cette "évaluation formative", qui concerne la manière de mener l'apprentissage, et que seul l'enseignant est capable de mener. Elle ne peut être que "participative", menée AVEC les élèves, selon un schéma classique :

* Un travail de réflexion en petits groupes sur un domaine d'apprentissage, à partir de questions simples (qu'a-t-on appris depuis la dernière fois ? Qu'est-ce qui vous a paru difficile ? Comment souhaitez-vous qu'on continue maintenant ? Etc.), accompagnées des documents nécessaires : le programme à avoir traité cette année dans cette discipline, avec ce qu'il en reste à apprendre, sans oublier les rapports des séances précédentes.
* une mise en commun à partir des rapports de chaque groupe, et des remarques de l'enseignant, pour déboucher sur des décisions collectivement adoptées, puis notées par le groupe secrétaire de la séance. Ce rapport écrit est alors envoyée aux parents, ainsi qu'à l'administration de l'établissement, école ou collège.
Avec les petits, c'est l'enseignant qui note les propos des enfants et rédige le rapport.
Aucun jugement, aucune note chiffrée, juste des informations précises sur le travail fourni et les résolutions pour la suite.

Conclusion

Au terme de ces analyses, il apparaît clairement que les évaluations-Blanquer réunissent tout ce qu'il ne faut surtout pas faire durant la période des apprentissages, avec des enfants, notamment à l'âge de l'école primaire.
Des évaluations certificatives au CP, recommencées trois fois dans l'année, est, non seulement un grossier contresens, une insulte au professionnalisme des enseignants, une activité inutile qui n'apporte aucune information à personne, en consommant bêtement un temps précieux, mais c'est aussi et surtout un acte de maltraitance enfantine absolument inadmissible.

Je pense, sincèrement, qu'il est urgent d'y réfléchir, de chercher ensemble, d'ici le déconfinement, des moyens de s'opposer à ce virus, sans doute encore pire que l'autre...
Oui, c'est aux collègues et aux pédagogues, de prendre la main sur l'évaluation...