On s'en rend compte depuis très longtemps, et, plus que jamais en ce moment, avec ces abominables évaluations au CP et les autres classes du primaire : l'activité d'évaluation devient si essentielle, qu'elle occupe toute la place du travail d'apprentissage : c'est pour la réussir que les enfants travaillent, et que les enseignants les font travailler. On en arrive même à évaluer au lieu d'apprendre, et à évaluer ce qui n'a pas été appris...

Alors, pour réfléchir, rien de tel qu'une petite parabole : voici l'histoire de la dame qui voulait maigrir de façon durable.

Il était une fois une dame qui se trouvait — et que chacun trouvait — trop grosse. Elle alla voir un médecin réputé pour obtenir un traitement censé y remédier. Celui-ci commença évidemment par lui poser quelques questions, dont celle-ci :
— Avez-vous une balance et vous arrive-t-il de vous peser ?
— Bien sûr que j'en ai une ! Et je me pèse très souvent, pour bien savoir où j'en suis.
— Très bien, répondit-il avec un sourire. Alors vous allez faire ce que je vous demande : vous allez commencer par jeter à la poubelle cette balance : en effet, la pesée se fera désormais chez moi, au moment que je déciderai, et jamais à d'autres moments. Ensuite vous suivrez à la lettre le traitement que je vous indique sur cette ordonnance, et vous revenez me voir dans un mois.
— Si tard que ça ? demanda la patiente dans un cri d'angoisse.
— Je vous expliquerai pourquoi la prochaine fois. Je vous demande seulement — et j'y insiste — de ne surtout pas vous peser durant tout le mois.
Le mois suivant la dame revint voir le médecin. Elle découvrit avec lui que l'amaigrissement avait bel et bien commencé. Encouragée par ce résultat, elle poursuivit, avec courage, et même enthousiasme, le traitement pourtant assez rude, durant plusieurs mois, toujours sans aucune évaluation autre que celles qui se déroulaient lors des visites mensuelles, jusqu'à obtenir le résultat qu'elle espérait, et qu'elle finit par obtenir.

Comme dirait le bon La Fontaine, quelles choses, par là, nous peuvent être enseignées ?
J'en vois plusieurs :
1- Ce n'est pas parce qu'on n'a pas évalué, que le progrès n'a pas eu lieu.
2- L'absence de "surveillance" n'en a nullement gêné l'apparition : elle a, au contraire permis aux variations de progrès, et aux inévitables régressions intermédiaires, de ne pas "se voir", évitant ainsi, les chutes de moral, catastrophiques dans toute tâche.
3- Aucune évaluation prétendument "diagnostique" n'a été effectuée, autre qu'un entretien convivial avec le médecin.
4- Le résultat de la première évaluation a été positif, parce que, arrivé tard, il a laissé le temps aux progrès de s'accomplir tranquillement.
5- C'est parce que le résultat de la première évaluation a été positif, que la motivation à poursuivre le traitement, si dur soit-il, s'est trouvée renforcée.
6- Du coup, le travail a pu se dérouler sans stress et sans jugement aucun, pas même au démarrage.
7- S'il a pu se dérouler ainsi, c'est parce que la patiente, qui participait totalement à tout, y compris à l'évaluation, n'appréhendait nullement celle-ci.
8- On observe que cette évaluation a été effectuée à l'intérieur du processus de soin, et par celui qui en a la charge, dans une relation de confiance entre médecin et patiente... C'est ce qu'on appelle une "évaluation formative", intégrée au travail entrepris.
9- C'est seulement à la fin du travail que pouvait être effectuée une évaluation dite "certificative", (on dit aussi "sommative") attestant que le poids idéal avait bien été atteint, en supposant, par exemple, que cette attestation ait pu être nécessaire en vue d'obtenir un certain type de travail professionnel, où cette donnée est d'importance.

Il me semble que la transposition, de cette parabole au travail des apprentissages à l'école, pourrait éclairer, de façon beaucoup plus lumineuse, la place de l'évaluation à l'école, en révélant de façon éclatante que l'évaluation, telle qu'elle existe partout, va à l'opposé de ce qui favorise les apprentissages.

C'est un assez bon point de départ pour réfléchir aux moyens de remettre à l'endroit une évaluation scolaire qui marche sur la tête : il reste, en effet, beaucoup à approfondir :

* Comment changer les mentalités, y compris officielles, qui ignorent les rôles de ces deux types d'évaluation, aux modalités et fonctions très différentes.
* Comment en préciser les rôles et places dans le travail scolaire.
* Comment concrètement, les installer en classe, où, quand, et sous quelles formes.
* Comment supprimer les notes, dont on voit bien qu'elles n'ont rien à voir avec une évaluation, et surtout en évitant de les remplacer par ces ersatz plus ou moins ridicules, couleurs, lettre et autres fariboles... qu'on voit surgir parfois dans les classes, avec les meilleures intentions du monde : une évaluation en couleurs ne change rien et continue de tapisser inexorablement le sol de l'enfer scolaire.
* Définir donc une autre forme d'évaluation à laquelle les enfants puissent participer activement, et qui s'effectue en classe, sous l'autorité seule de l'enseignant.
A suivre, donc... Avec vous tous !