En pédagogie, vouloir simplifier est toujours une erreur... et très souvent une faute.
Par Eveline, jeudi 18 février 2016 à 14:23 :: Education, Ecole et Pédagogie :: #287 :: rss
Dans le nouveau "Nouvel Obs", nommé maintenant "l'Obs" de cette semaine, qui ouvre un dossier sur la question : "Pourquoi l'orthographe nous rend fous ? " Jacques Drillon, bien connu des cruciverbistes qui lisent cet hebdomadaire, donne à sa contribution un très joli titre : "Rien n'est plus compliqué que de simplifier".
Profondément agacée par le tintamarre accompagnant les dernières tentatives de réforme de l'orthographe, qui, une fois de plus, atteignent des sommets de bêtise, tant linguistiques, que logiques et pédagogiques, je vous propose quelques réflexions sur cette notion, si difficile à cerner dans notre domaine, celle de la SIMPLIFICATION.
Profondément agacée par le tintamarre accompagnant les dernières tentatives de réforme de l'orthographe, qui, une fois de plus, atteignent des sommets de bêtise, tant linguistiques, que logiques et pédagogiques, je vous propose quelques réflexions sur cette notion, si difficile à cerner dans notre domaine, celle de la SIMPLIFICATION.
Simplifier, ça veut dire quoi ?
On notera d'emblée, chez ceux qui utilisent ce verbe, une certaine méconnaissance du sens de ce terme, ou plutôt de la notion qu'il désigne. Personne ne contestera, je pense, que "simplifier", "rendre simple" ne peut être entendu ici que sous le sens "rendre facile". Comme si simple et facile étaient des synonymes. Certes l'usage courant fait volontiers cet amalgame, restant à la surface des mots sans creuser davantage. Mais, quand on parle en haut lieu de réforme, cela ne peut être qu'un emploi rigoureux, scientifique, qui descend jusqu'à la NOTION. Or, à ce niveau, ces deux termes, simple et facile deviennent le contraire l'un de l'autre.
Comme des générations de psychologues nous l'ont appris, ce qui est "facile", ne l'est pas pour tout le monde en même temps, car la facilité dépend du vécu de chacun. Pour qu'une chose soit facile, il faut qu'elle soit connue. Autrement dit, ce qui est facile est tout bêtement ce à quoi on est habitué. Dès lors, le "simple" en est exclu, pour la bonne raison que rien dans notre expérience ne l'est. Tout ce qui nous entoure, y compris au sortir du ventre de notre mère, est complexe. Ce qui est facile, c'est le complexe dans lequel on vit.
Le SIMPLE, lui, est le résultat d'une analyse de ce complexe. Il est abstrait. Le simple est donc difficile.
Il ne saurait donc s'agir de "simplifier " l'orthographe, mais de la rendre plus "facile" à avaler.
or, il se trouve qu'un tel objectif est une quadruple erreur : de linguistique, notamment une ignorance de l'histoire de l'écriture du français, de logique, de psychologie, et de pédagogie à laquelle s'ajoute quelque choses qui ressemble fort à une faute morale.
1- Une erreur en linguistique du français et une ignorance de l'histoire de l'écriture française.
Pourquoi l'orthographe est-elle difficile à avaler ? Parce que son enseignement repose sur une méconnaissance de son fonctionnement effectif : on trompe les enfants (et on crée pour eux des difficultés, qu'ils n'auraient pas sans cette tromperie) en leur faisant croire qu'elle devrait transcrire la prononciation, comme le font d'autres langues, dont la structure et les habitudes le permettent. Ce n'est pas du tout le cas du français, pour qui, depuis Robert Estienne, l'écrit est devenu une "langue pour les yeux ", une langue pour être lue.
Cette idée de génie n'était, certes, pas dans les objectifs de R. Estienne, mais c'est tout de même ce qu'il a fait, sans le vouloir. Une langue pour les yeux, c'est ce qu'il faut pour une lecture efficace...
En exigeant que des lettres qui renvoient à l'étymologie s'ajoutent à leur orthographe (en fait dans une volonté très claire de discrimination sociale par la culture !), il a détaché l'orthographe de la prononciation, et rendu ces lettre non prononcées plus importantes que celles qui le sont, ce qui facilite l'identification des mots avec leur signification, sans passer par la prononciation, et rend possible un vraie lecture visuelle. C'est ce qui distingue le français des autres langues.
Le problème, c'est que si on oblige les enfants à ne voir que la relation lettres-sons, on les empêche de comprendre cette particularité de notre langue, d'être faite pour être lue DES YEUX, indépendamment de ce qu'on entend dans les mots, et, bien sûr, on les empêche, au moment des apprentissages premiers de la lecture, d'accorder aux marques orthographiques, l'attention qui constitue la base du savoir orthographier.
L'autre aspect (génial !) de cette orientation, c'est que, en français, la prononciation étant un lieu de variation très étendues (plus étendue encore que pour d'autres langues), il est infiniment préférable de ne pas l'utiliser en écriture. Comme on dit en plaisantant (mais ce n'est pas une plaisanterie !) : si un Toulousain, un Belge, un Antillais, un Québécois, un Parisien, un Breton et un Bourguignon veulent discuter ensemble, ils auront intérêt à s'écrire. A l'oral, ou bien ils ne se comprendront pas, ou bien ils se jugeront sévèrement, ce qui est la pire des incompréhensions.
Or, la prétendue simplification vise justement ce contresens qui consiste à vouloir faire correspondre écriture et prononciation, pour qu'elle soit plus facile. En fait, c'est tout le contraire.
2- Une grave erreur de logique:
Les propositions annoncées ne concernent pas toutes les occurrences de ce qu'elles prétendent "simplifier". Donc elles ne simplifient rien, car elles installent des exceptions. Or, une règle qui a des exceptions cesse d'être une règle. C'est un point assez élémentaire de la logique. Même en prétendant qu'on supprime seulement les signes (accents ou lettres) qui ne servent à rien, comme rien ne précise à quoi on les reconnaît, c'est une clé qui n'ouvre que les portes déjà ouvertes.
Il est vrai que l'école est coutumière de ce genre d'arnaque : les clés qu'elle fournit aux élèves, ne servent le plus souvent qu'à ceux qui n'en ont pas besoin.
3- Une erreur de pédagogie.
Fournir aux enfants des clés qui n'ouvrent pas les portes qui leur sont fermées, ce n'est pas le sommet de la conscience professionnelle : s'il s'agissait d'un serrurier, je pense qu'il aurait des ennuis. Ce serait normal pour un enseignant ?
Leur enseigner du faux, et les mettre ainsi en difficulté, leur ôter ce qui pourrait leur servir de balises d'orientation — ce que sont les signes et lettres qui ne servent à rien — ce qui les égare et les conduit à l'erreur, est difficile à interpréter comme un désir d'aider les élèves.
4- Une erreur de psychologie.
Contrairement aux présupposés sous-tendus par ces réformes, les enfants n'aiment guère la facilité. Plus intelligents que beaucoup d'adultes, ils savent que c'est la difficulté vaincue qui valorise, et même en ne connaissant de Corneille que celui qui chante, ils savent qu'à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Dans ma longue carrière, j'ai toujours admiré le goût qu'ils ont tous pour la difficulté, qui fait grandir...
Ah ! Evidemment, pas la difficulté affrontée tout seul et tout nu, sans aucune aide, comme on l'imagine à la lumière de notre vécu scolaire, et comme on l'observe, hélas, trop souvent dans les classes aujourd'hui ! Mais la difficulté affrontée à plusieurs, solidairement, avec de la documentation, et l'aide des adultes, la vraie difficulté d'un projet qu'ils ont élaboré et qui signifie quelque chose pour eux, cette difficulté-là, ils l'aiment et sont fiers de la maîtriser.
Comme tout le monde, après tout !
Il suffit donc qu'ils aient appris, par exemple, à utiliser vite et bien, en toute situation d'écriture, le dictionnaire d'orthographe et celui des verbes, pour que les performances en orthographe grimpent comme par magie.
Essayez donc, et vous verrez !
5-Quelque chose enfin qui ressemble à une faute morale.
Comment peut-on demander que soit simplifié ce qu'on a à enseigner ? De tout évidence, une telle demande vise beaucoup plus le confort des enseignants, que celui des élèves. Alors, quoi ? On ne serait donc capables d'enseigner que le facile ? Avec deux master et tout le reste ? N'est-ce pas quelque peu inquiétant, cette volonté de facilité ?
Vous voyez bien que vouloir simplifier, c'est rudement difficile, pas toujours très beau, et que ça pose de redoutables problèmes.
Au fait, notre métier n'est-il pas d'aider les élèves à grandir ? Mais grandir, n'est-ce pas justement se colleter avec des difficultés, des obstacles, des participes passés et des raisonnements pas faciles ? Être grand, n'est-ce pas être devenu capable de trouver, dans ces difficultés surmontées, la fierté, la satisfaction et la confiance en soi qui rendent libre ? Alors, apprenons plutôt à faire notre métier, convenablement.
Commentaires
1. Le vendredi 19 février 2016 à 09:38, par Pascal Bouchard
2. Le vendredi 19 février 2016 à 10:05, par Eveline
3. Le samedi 20 février 2016 à 11:36, par Pierre Frackowiak
4. Le samedi 20 février 2016 à 14:12, par Julos
5. Le mardi 23 février 2016 à 14:57, par Jean-Pierre Jaffré
6. Le mardi 23 février 2016 à 15:24, par Eveline
7. Le mercredi 24 février 2016 à 14:23, par Jean-Pierre Jaffré
8. Le mercredi 24 février 2016 à 14:58, par Eveline
9. Le jeudi 25 février 2016 à 18:02, par Laurent CARLE
10. Le samedi 27 février 2016 à 10:08, par Jean-Pierre Jaffré
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