Créé en 1975 par l'Académie des Sports, et non en 1987, — où, certes sous un gouvernement de gauche (Nul n'est parfait, soupira le renard), il a été kidnappé par l'Education Nationale — le Prix National de l'Education est une aubaine pour notre ministre, avide de résoudre à coups de carottes et de bâtons les problèmes divers de l'école.
Et en voilà une couche de plus vers la mise sous tutelle de la population, tenue en respect par ces fadaises de récompenses, destinées à redonner un peu d'équilibre au système alourdi par les innombrables sanctions qui tombent sous divers prétextes sur le monde enseignant.
Mais laissons de côté le ridicule infantilisant de ces médailles en chocolat pour débiles.
Deux questions se posent ici :
* celle de l'exemplarité : qu'est-ce qu'un modèle pour l'école ?
* celle des critères de choix des récipiendaires : qu'est-ce qu'un bon élève ?
Commençons par cette seconde question. François Jarraud dans la chronique du Café du mercredi 9 février donne la réponse :
un élève remarquable pour ses bons résultats scolaires, mais aussi pour sa valeur sportive et son implication dans la vie de l'établissement ou dans la société, un élève qui frise la perfection : la tête et les jambes, la bonne camaraderie en plus.

De tels élèves existent : tout enseignant en a rencontré dans sa carrière. La question qui se pose, c'est : que signifie le fait de les récompenser et au nom de quoi ?
Lorsque j'en vois pleins d'admiration devant le courage, l'assiduité, la réussite de certains élèves, je pense toujours aux propos de mon prof de philo en hypokhâgne : La formule "qui veut, peut" est une imposture. C'est l'inverse en fait : il faut pouvoir vouloir ! Tout le monde n'en a pas les moyens.
C'est incontestable. On n'a pas toujours les moyens de vouloir : la maladie, la fatigue, suffisent à abolir toute volonté, mais aussi toutes sortes d'autres facteurs, notamment affectifs. Et, contrairement à ce qui est affirmé en haut lieu, la dimension affective des apprentissages est primordiale. C'est souvent elle qui définit la différence entre un "bon" élève et un "mauvais". Je parle en connaissance de cause, moi, dont la vie d'écolière a vu se succéder fréquemment les deux états : selon les années, je fus tantôt très bonne élève, tantôt très mauvaise. On est en droit de penser que mes "qualités" n'avaient pas changé : elles ne donnaient pas les mêmes résultats, c'est tout.
En fait, nombreux sont les facteurs qui jouent un rôle ici. Et l'élève n'est responsable d'aucun, directement. Tout se trouve dans un réseau de relations complexes — que l'école s'obstine à ignorer — entre l'élève, son environnement familial, l'école et l'ambiance qui y règne, l'enseignant, les autres élèves...
On croit parfois que la relation "enseignant/élève" est essentielle. C'est loin d'être vrai. D'autres raisons existent. Il peut arriver à un élève, par exemple, de se trouver dans une classe où il est méprisé des autres pour diverses raisons, sans valeur aux yeux des adultes, mais essentielles aux yeux de l'enfant.
Une humiliation — certains enseignants en font leur arme favorite — suffit parfois à bousiller les résultats de toute une année scolaire. Et l'on sait bien le rôle essentiel de l'environnement familial dans ces réseaux.
Considérer que ces données doivent rester extérieures au travail scolaire, c'est oublier qu'un élève est un être humain, qui a autre chose que l'école dans sa vie, et, à l'école, autre chose que les programmes.

Il y a pire : associer les qualités sportives aux mérites d'un élève est une forme d'injustice vraiment monumentale.
Tout le monde n'a pas les moyens d'être "bon en gym". J'ai connu pas mal d'élèves, qui, pour des raisons parfaitement indépendantes de leur volonté, avaient du mal à courir vite, ou avaient le vertige, et que des profs indélicats — hélas, ça existe ! — humiliaient à longueur de cours, les accusant d'être de "grosses patates, qui devraient bouger un peu leur gros cul", ou qui étaient contraints de faire de la poutre ou de la corde, sous les sarcasmes.
Ce n'est pas en récompensant les bons en gym, que l'on donnera à l'EPS la place qui doit être la sienne à l'école — au contraire ! L'EPS est évidemment — contrairement à ce qu'un vain gouvernement semble penser — une discipline essentielle, peut-être la plus importante à l'école primaire. Il est scandaleux d'en faire une activité de détente, bonne à caser l'après-midi, avec les activités secondaires. Elle est partie intégrante de tout le travail d'apprentissage.
Au lieu d'humilier les enfants maladroits, il est capital de travailler avec eux à développer une motricité que la naissance ne leur a pas toujours fournie en bon état. Les apprentissages moteurs sont sont au cœur du développement de l'intelligence et leur maîtrise a à être développée, mais il n'y a aucune raison de la récompenser : récompense-t-on celui qui voit mieux ou celui dont le cœur bat plus lentement ?
Quand cessera-t-on à l'école ces perpétuels dénis de bons sens ?

Finalement, le bon élève, c'est comme le soldat qui revient de guerre chez Francis Lemarque : un élève qui a simplement eu d'la veine et puis voilà !

Quant à l'exemplarité, s'imaginer que voir un élève être récompensé donnera envie aux autres de devenir aussi "bons" que lui, c'est oublier une remarque pleine de bon sens d'une de mes collègues et amie qui disait : il ne suffit pas de regarder un gâteau pour savoir le faire.
Outre les effets d'envie, de jalousie, générateurs de conséquences perverses bien connues, on sait que ce n'est pas en regardant, qu'on devient capable de faire ce qu'on voit. C'est en vivant avec ceux qui le font, en travaillant avec eux, à condition d'être en "sécurité affective" : loin des pressions, des jugements et des menaces, dans un climat de confiance, avec la certitude d'être soutenus et d'avoir à disposition les ressources dont on aura besoin.
Le modèle pour l'école ne se situe donc pas au niveau des élèves, mais à celui de la manière de travailler et de l'ambiance installée en ce lieu : seule une école de la confiance, de la solidarité et du respect MUTUELS peut aider tous les enfants à réussir.
S'il y a quelqu'un à récompenser, c'est toute la classe — et encore, la seule "récompense" possible, parce que c'est la simple conséquence du travail fourni, c'est le plaisir d'avoir progressé tous ensemble, et la fête que l'on peut partager, sans avoir besoin de médailles ou d'accessits.
Cela pourrait s'appeler une "école démocratique"... Ça existe : j'en ai rencontré.