Certes, le précédent concours n'était pas parfait.
Mais c'était un concours d'entrée dans un établissement pour une année de formation (donc il restait de l'espoir !), et comme c'était un concours d'entrée, les étudiants s'y préparaient, et avaient donc la possibilité de se cultiver un peu en vue du métier qu'ils avaient choisi.
Et surtout, les épreuve, du moins celles de français, qui sont par nature les plus significatives des objectifs d'un concours, avaient une orientation à la fois culturelle et pédagogique en cohérence avec le métier.
Il était demandé aux candidats de faire une synthèse des réponses que trois ou quatre documents d'un dossier apportaient à une question relative à la classe de français. Cela impliquait une connaissance, même sommaire, de l'histoire de la pédagogie, de ce qu'est une classe, et des compétences de lecture, de raisonnement, et de production d'écrits, assez conformes à ce que l'on attend d'un enseignant. Il y avait une question complémentaire avec une mise en situation d'enseignement théorisée, et la question de grammaire avaient en général une petite visée pédagogique.
C'étaient des épreuves permettant de repérer — imparfaitement, sans doute — certaines des aptitudes nécessaires à ceux à qui l'on va confier les enfants.
Rien de tel dans le nouveau concours.
Pour l'admissibilité, deux épreuves écrites, l'une de "français", l'autre, de "maths", mais associant de manière inattendue, pour la première, le français et l'histoire, la géographie, l'instruction civique et la morale (un rien !), et pour la seconde, les mathématiques, les sciences et la technologie.

Que nous propose le ministère comme exemple de la première épreuve, censée repérer des aptitudes à la fameuse "transmission" des savoirs simples qui constituent le socle des connaissances ?

Premier exemple :
A partir d'un dossier comportant quatre extraits (longs : deux pages chacun),
* l'un tiré d'un article de Françoise Benhamou "Le Livre Numérique : ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre", paru dans la revue ESPRIT de mars 2009,
* le second, extrait de l'ouvrage "Le Travail Humain", de Jérôme Dinet et coll.PUF 2008, et intitulé : "Ergonomie des documents électroniques", avec comme sous-titre : Recherche d'information dans les documents électroniques"
* le troisième, de Nicolas Carr, article publié dans la revue THE ALANTIC en 2008, sous le titre "Google nous rend idiot ?",
*le quatrième, de Roger Chartier, extrait d'un article publié dans l'ouvrage d'Yves Michaud "Qu'est-ce que la culture ?", sous le titre : "passé et avenir du livre".

Sur ces quatre textes, la question posée est : "A partir de ces textes, analysez les incidences de l'usage des supports numériques sur la diffusion des connaissances et sur les pratiques de lecture".

Même indépendamment de toute relation avec l'école, on peut dire d'emblée que cette question est bien mal posée. Le verbe "analyser" pose évidemment problème : comment peut-on analyser de données de plusieurs textes en même temps ? Il faut d'abord, les mettre en relation.
C'est évident, direz-vous...
Tiens je croyais que jamais rien ne pouvait être évident, quand on s'adresse à des élèves, ou à des candidats...? On m'a même dit souvent que c'était le B.A. BA du métier...
Il est vrai que le métier, on le cherche maintenant, avec désespoir !

Le second exemple serait mieux ? A vous de juger :
Ici encore, quatre textes, et copieux :
* le premier, un extrait de Andreï Makine "Le Testament Français"(Gallimard,1997)
* le second, de Hector Bianciotti : "Le pas si lent de l'amour" (Gallimard 1999)
* le troisième, de François Cheng : "Le dialogue, une passion pour la langue française" (presse Littéraire et artistique de Shangaï, 2002),
* le quatrième, de Abdelkébir Khatibi "Un étranger professionnel", in "Etudes françaises", Université de Montréal 1997.

La question posée est : "Les auteurs de ces quatre textes sont des écrivains contemporains qui s'expriment en français et en référence à d'autres langues. En vous appuyant sur les extraits donnés, vous analyserez ce que la langue représente pour eux et leur conception des relations du français avec leur langue maternelle".

De toute évidence, de tels sujets sont plus proches d'un devoir pour Normale Sup' que de la recherche des aptitudes à enseigner. Il y a dans leur formulation, diverses formes de provocation :
* une conception hautaine du savoir, très "savoir de salon branché", reposant sur des écrits que peu de candidats auront lus, et posant des problèmes parfaitement secondaires, surtout au regard de ceux qui attendent les candidats dans leur future classe...
* une consigne de travail à la fois confuse et mal formulée : il n'est pas évident d'analyser ce que la langue représente pour quelqu'un, surtout à partir de plusieurs textes.
* comme pour le précédent exemple, on observe deux domaines de réponses, à la fois diffusion des connaissances et pratiques de lecture, pour le premier, et pour le second, d'une part, les fameuses représentations de la langue française pour les auteurs et les relations avec leur langue maternelle d'autre part.
Un travail à la fois long et difficile. Destiné à faire chuter le maximum de candidats.

Bien entendu, dans les deux exemples, et sur les quatre heures de l'épreuve, ils ont, en plus, à répondre à trois question, de grammaire, d'orthographe, et de vocabulaire.
Mais là, curieusement, chute vertigineuse ! Plus de haute culture de "distinction", rien que de la grammaire la plus traditionnelle, la plus plate, la plus scolaire et la moins utile qui soit : Relever et nommer les formes conjuguées d'un des textes (pas question de leur fonctionnement ou des raisons de leur choix, non "nommer " seulement); classer les pronoms et donner leur nature et leur fonction ; expliquer le sens d'un mot et donner une liste de trois mots dérivés, justifier des marques de pluriel et des accords de participes...

Avouez qu'on est loin des propos d'un certain Laurent Carle, qui rappelait naguère, avec ce sens si sûr, quoique un peu saignant (mais il faut faire mal parfois pour réveiller...) de ce qui ne va pas :

L’enseignement se compose depuis toujours de fonctionnaires faisant fonction de prof. Il faudra, un jour, recruter des pédagogues d’abord, à qui l’on accordera ensuite le statut de fonctionnaire.
Jusqu’ici, l’institution a recruté des fonctionnaires à bac plus trois et les a employés pour « faire la classe ». Un jour, il faudra bien se décider à recruter des pédagogues.
Pour changer l’école, il faut changer le statut de l’écolier.
Pour changer le statut de l’écolier, il faut changer les habitudes de penser et de faire des enseignants.
Pour cela, il faut rompre avec les traditions scolaires et l’idéologie dominante. Il faut « se fâcher ».
Les personnalités en poste sont façonnées sur un modèle conforme à l’idéologie, en paix avec elle et avec elles. On ne peut pas les changer. Elles sont si conformes qu’elles ignorent, à la fois, qu’elles le sont et qu’elles pourraient ne pas l’être. Dans le tas, on trouve quelques personnalités rebelles et isolées. Mais, pour penser différent, il faut penser en marge, souvent contre, puisque le système est conservateur. Les moutons noirs sont des surdoués, évidemment. Mais ça ne suffit pas. Les antipédagogues sont aussi des surdoués. Il faut un attachement profond à la liberté de pensée et une capacité créative associée. L’une et l’autre supposent le courage.
Or, la majorité choisit ce métier pour la sécurité intellectuelle qu’on lui prête, a priori.
Il faut se mobiliser pour une formation professionnelle des enseignants, qui amorce vraiment un virage pédagogique, pour une formation pédagogique authentique, pour une école «service public», c’est-à-dire, pour former des enseignants au service de l’enfance et non aux ordres de l’idéologie dominante. L’école est un prestataire de services qui programme la forme et les modalités de ses services sans se soucier ni des besoins, ni de la demande de ses usagers : l’enfance. Bien des contestataires se rebellent dans la presse ou dans la rue contre le pouvoir en place et la hiérarchie qui les obligent à se soumettre, mais font subir à leurs élèves la morale du «devoir», du «mérite» et la «loi des seigneurs», à travers les méthodes prétendument «pédagogiques» fabriqués par ces mêmes serviteurs du pouvoir et de l’ordre établi dont ils refusent les ordres. Il faut s’attaquer au problème de fond, l’absence de pédagogie à l’école et de démocratie dans les classes, et pas uniquement à ce qui touche, personnellement, l’une ou l’autre des corporations de fonctionnaires du système scolaire actuel.
Bien des universitaires formateurs apprennent à leurs élèves-maitres à utiliser en classe les outils et manuels qu’ils vendent sur le marché du livre scolaire. Ce n’est pas de la formation pédagogique, c’est du marketing.

Une pétition pour une véritable formation professionnelle des enseignants s’intitulerait : 1000 000 voix pour la pédagogie dans les écoles françaises .

Merci Laurent, de nous faire rêver !

Mais il serait temps de se réveiller... non ?