Evaluer, noter, prouver... ça prouve quoi ?
(Article de Décembre 2007, publié sur le blog)
La question de l'évaluation est récurrente dans le débat actuel sur la pédagogie. Et comme la mode est plus que jamais à l'évaluation tous azimuts, et aux compararaisons de résultats d'un pays à l'autre, il serait peut-être temps d'envoyer sur ce point quelques coups de projecteur...
Un excellent article de Laurent Lescouarch, publié sur le forum du site de Philippe Meirieu, se termine ainsi :
Il serait intéressant que la formation (des enseignants) intègre également l'apprentissage de l'observation, l'entretien d'explicitation et l'analyse des réactions des élèves (...). Pour le pédagogue, habitué à la complexité de l'acte d'enseignement, ces affirmations peuvent avoir une dimension d'évidence et donner le sentiment d'enfoncer des portes ouvertes ; cependant, le problème est qu'elles sont justement en train de se refermer...
Oui, elles sont en train de se refermer, c'est certain, et la chose qu'il est convenu d'appeler à l'école "évaluation", est en train de retrouver (mais les a-t-elle jamais perdues ?), les erreurs et confusions catastrophiques qui la décridibilisent complètement aux yeux des élèves d'abord et de beaucoup d'autres ensuite.
Evaluer, qu'est-ce que ça veut dire ?
L'école semble avoir oublié quelques "vérités incontournables" comme dirait Pierre Frakowiak.
1- On évalue quand on a fini de travailler, jamais pendant : peut-on maigrir avec une balance et peut-on se soigner avec un thermomètre ? Une école où l'on met une note à tout ce que font les élèves, c'est une école où l'on ne travaille évidemment jamais !!
2- Evaluer, c'est mesurer et mesurer, c'est comparer. Toute la question réside donc dans le complément que l'on ajoute à ces deux verbes :
* mesurer quoi ?
* comparer quoi à quoi ?
Ensuite, il faudra ajouter un complément supplémentaire : "pour en faire quoi ?"
Et si, pour répondre à ces questions, on gratte un peu sous la couche des évidences, on découvre une énorme confusion-amalgame : évaluer / juger.
Une fois de plus il s'agit de l'incapacité de pas mal d'adultes à distinguer ce qui relève de l'opinion, laquelle comme on sait, gère des valeurs, toujours relatives, et ce qui relève des faits.
S'agit-il de mesurer ce que vaut une prestation ? Ou s'agit-il de mesurer les compétences acquises que cette prestation révèle?
Si je compare la prestation à ce que devrait être une prestation idéale (dont la définition est loin d'être un consensus !), je suis en plein dans le subjectif, d'autant plus que la comparaison est, — au moins pour le français, la philo etc... — purement pifométrique !
3- Que faut-il comparer en fin de compte ?
Un grand monsieur, Jean Eisenbéis— un Inspecteur Général, s'il vous plaît, oui, mais d'EPS, ce qui change beaucoup de choses !— et qui a travaillé longtemps avec un autre grand monsieur, Bernard Maccario (Directeur IUFM, Inspecteur d'Académie et EPS également : Lire : "L'école à l'heure de l'évaluation" Editions SEDRAP) — rappellent, dans leurs interventions qu'évaluer un travail à l'école, c'est effectuer trois comparaisons :
a) Comparer ce que savait l'élève avant le travail et ce qu'il sait après (situation initiale et situation finale).
b) Comparer ce résultat obtenu avec le résultat attendu (l'objectif du travail)
c) Comparer l'objectif (le résultat attendu) avec la situation initiale de l'élève
La première de ces comparaisons permet de mesurer les progrès de l'élève, ce qui est notre mission d'enseignant. Et cela n'est possible que s'il y a eu une évaluation de départ, et si les deux évaluations, de départ et d'arrivée, portent rigoureusement sur la même chose et dans les mêmes conditions, faute de quoi, les résultats ne sont pas interprétables !!
(Force est de reconnaître que cette remarque rend fort discutables toute comparaison de performances entre jadis et aujourd'hui, entre ici et ailleurs, dont on nous rebat périodiquement les oreilles)
La deuxième comparaison, comparer la situation initiale de l'élève et le résultat attendu, c'est mesurer le degré d'adéquation du choix de l'objectif : si l'écart est trop grand entre les deux et si l'objectif est trop au-dessus de la "zone proximale" de l'élève, il est normal que l'apprentissage n'ait pu avoir lieu.
Quant à la troisième, elle mesure l'efficacité du travail d'enseignement : si le résultat attendu n'est pas obtenu, c'est que le travail proposé était inadéquat...
On remarquera que lorsque la première comparaison aboutit à des constats décevants, la cause peut toujours en être recherchée dans les deux autres, ce qui constitue un excellent feed-back du travail de classe.
On prend ici conscience de tout ce qui manque à l'école pour que l'évaluation mérite ce nom...!
4- L'évaluation est chose plurielle, dont les variations dépendent de ce à quoi elle sert, et de ceux à qui elle est destinée.
A-t-elle comme fonction de certifier l'existence de compétences nécessaires à la pratique d'un métier, ou doit-elle servir de réajustement nécessaire du travail d'enseignement ?
Est-elle destinée aux parents, aux élèves, à l'administration, au ministère ? Pour tous ces cas l'évaluation n'aura ni les mêmes supports, ni les mêmes contenus.
(Un dossier sur ces questions est en cours d'élaboration sur le site : http://www.charmeux.fr).
4- Noter n'est pas évaluer
Alors, les notes doivent disparaître ?
Eh non ! Justement. C'est là-dessus que soixante-huit s'est cassé le nez. Tous les efforts pour les remplacer ont échoué : les fameuses lettres correspondaient aux notes (A = +de 15, D = moins de 5 etc.) Ridicule !
En fait, les notes sont indispensables, pour des raisons essentiellement... administratives, et de communication. Une évaluation digne de ce nom est impossible à communiquer aux parents, ou à gérer administrativement.
Mais cela ne veut pas dire qu'elles ne signifient rien, ou qu'on doive continuer à les mettre et à les utiliser comme on le fait.
Un certain nombre de conditions sont à prévoir.
1- Une note doit être une somme de réussites et non une soustraction d'erreurs. Noter en soustrayant est une de ces stupidités mathématiques, psychologiques et sociales, dont l'école a le secret. Mais cela exige qu'un barême rigoureux ait été prévu, — avec les élèves évidemment — sur la base de critères précis définis ensemble.
2- Une note ne peut correspondre qu'à ce qui a été appris en classe, et non à ce que sait l'enfant. On n'a pas à faire état de ce que la chance qu'a l'enfant d'être né dans un bon endroit, lui a permis de savoir sans que l'école ne l'ait enseigné aux autres. C'est ainsi que jamais un travail fait à la maison ne doit être noté.
3- Une note ne doit pas être la moyenne des notes obtenues au cours du trimestre : cela nie purement et simplement la notion de progrès. Les seules moyennes qui aient un sens sont celles qui réunissent toutes les notes obtenues lors de la semaine d'évaluation, organisée après la période de travail d'apprentissage (période au cours de laquelle aucune note n'a été évidemment attribuée) : comme cela a été dit plus haut, on ne note pas en cours d'apprentissage !!
4- Si rigoureux que soit le système adopté, une note reste très relative et dépourvue de valeur objective, ce que démontrent depuis fort longtemps tous les travaux de docimologie.
Ce sont les entretiens avec les enseignants que les parents doivent prendre en compte, et non la liste des notes inscrites sur le carnet.
Et si vous objectez que les examens reçoivent ou rejettent à partir de notes mises sur les copies, je répondrai que jamais les examens n'ont été des évaluations... Ce sont, comme disent les gens de ma génération qui ont connu ces cauchemars, des "Ausweiss", dont l'obtention comporte une énorme part de chance.
Certes le travail en est une condition nécessaire... mais pas du tout une condition suffisante !
Un de mes profs de jadis avait coutume, en nous souhaitant bonne chance le dernier jour de l'année, d'ajouter deux formules, dont j'ai fait souvent mon profit :
1- "Noubliez pas, disait-il, qu'il y a une manière bête de savoir qui peut vous faire échouer, et une manière intelligente d'ignorer qui peut vous faire recevoir...!"
Et il ajoutait :
Dites-vous bien, quels que soient vos savoirs devant l'épreuve : "quoi que je dise, il est impossible qu'on ne s'aperçoive pas que je suis intelligent !!" ...
C'est comme ça qu'on réussit un examen... et ça n'a rien à voir avec une évaluation !!
Ou plutôt, on peut dire qu'un examen, c'est une évaluation des capacités à passer des examens. CQFD !