Enseigner le français avec Eveline Charmeux

Enseigner le "bon" français ?

Quel français enseigner ?

Les conceptions de la norme du français depuis que son existence a été reconnue officiellement par l'ordonnance de Villers-Cotterets (1539), ont connu quatre périodes, qui, en réalité, se regroupent en deux époques, correspondant à l'image que l'on avait de la langue elle-même.

Une première période définie, à la fois par la conception très religieuse que l'on avait d'une langue (reflet divin de la pensée) et par le souvenir de la rude bataille qui fut nécessaire à la reconnaissance du français, langue populaire contre le latin, faisait de cette langue nouvellement victorieuse, une réalité pure et sacrée, intangible, qu'il fallait protéger à tout prix.

L'arrivée des travaux de la linguistique a commencé à ébranler quelque peu cette certitude, sans parvenir à secouer la notion de "bon usage" quasi sacré, à respecter inconditionnellement, notion encore vivace aujourd'hui.

Le tableau suivant traduit cette lente progression vers une conception un peu plus ouverte et plus conforme à la réalité de son fonctionnement social, conception qui doit être au cœur du travail de mise en place de la maîtrise de la langue, dont on sait qu'elle est une des priorités évidentes des programmes scolaires.

Où l'on voit que la dimension sociale de la langue a eu bien du mal à se faire reconnaître, l'influence des "grammairiens" depuis le 16ème siècle ayant été assez catastrophique pour la vie de la langue française. Celle-ci, en effet, se trouve toujours coincée entre des puristes intégristes du langage et un désir d'évolution et de création qui, comme chaque fois qu'il y a contrainte excessive, présente le risque de devenir difficilement contrôlable.

Si la notion de pluralité des normes est apparue dès les premières années de la linguistique, il a fallu beaucoup de temps pour que cette "pluralité" se débarrasse de la notion de "hiérarchie" de ces normes, et de la conviction qu'il y aurait des formulations supérieures à d'autres. La théorie des "niveaux de langue", malgré son absurdité, est coriace, et les jugements de valeur sur les choix langagiers ont encore, hélas, de beaux jours devant eux.

Dans la plupart des classes, on a réussi à faire disparaître la pédagogie normative en usage jusqu'à la guerre 39-45, mais c'est souvent au profit d'une pédagogie pluri-normative, qui définit des "registres de langue", adaptés aux diverses situations de communication. Cette dernière notion n'a, en réalité, que peu de sens puisque la notion de situation de communication n'est pas entièrement objective : une même situation de communication n'est jamais définie de la même manière d'un individu à un autre. En réalité, les choix langagiers ne dépendent pas seulement des données objectives (statut social du destinataire, lieu de la communication etc.), mais aussi et surtout du projet de communication, de ses enjeux et de l'effet que le locuteur veut produire

C'est pourquoi on parle aujourd'hui de "pédagogie pluri-normaliste", qui enseigne aux élèves à prendre conscience des enjeux véritables d'une situation de communication, et à associer les choix langagiers à ces projets, en les adaptant à l'effet à produire et au résultat attendu. cette adaptation porte le nom de fonctionnalité. On parlera ainsi de "fonctionnalité sociale" si le projet consiste à ne pas étonner, à rester dans la norme sociale, et de "fonctionnalité personnelle", si le projet consiste à provoquer un étonnement, positif ou non, par rapport à ces normes.

Autrement dit, l'on peut parler ici d'une pédagogie qui aide les élèves à conquérir une réelle autonomie langagière, par la connaissance parfaite des règles du jeu communicationnel.

La maîtrise de la langue n'est autre que la maîtrise des choix et la maîtrise des marges de liberté que laissent à tout locuteur les règles sociales de ce jeu.

C'est ce que traduit le tableau suivant.

Maîtrise de la langue... mais de laquelle ?

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