la classe de français : l'orthographe.

Comment l'orthographe française fonctionne-t-elle ?

Conférence donnée aux Entretiens Nathan, en 1993.

 

Pour que les élèves maîtrisent l’orthographe, il faut peut-être l’enseigner autrement.

Eveline Charmeux
Formateur IUFM Toulouse
Chercheur associé à l’INRP

L’orthographe est une affaire passionnelle et un lieu d’affrontements parfois violents. Elle occupe, du reste, une place particulière dans l’ensemble des autres apprentissages :
           * On n’observe pas, semble-t-il de corrélations significatives entre la maîtrise de l’orthographe et l’intelligence : de très forts QI sont capables d’erreurs orthographiques importantes, alors que certains débiles n’en commettent point.
           * Pas davantage de corrélations significatives avec la culture et les diplômes : on rencontre fréquemment, notamment chez les personnes âgées, des orthographes impeccables, avec quelques années seulement d’école primaire; tandis que certains détenteurs de diplômes élevés sont capables de multiplier les erreurs dans ce domaine ;
           * On ne peut, cependant, nier que l’orthographe soit un facteur essentiel de sélection sociale, et une des causes majeures d’échecs scolaires... Du reste, sa non-maîtrise est souvent considérée (bien à tort !) comme un indicateur d’illettrisme.
           * De ce fait, elle constitue un véritable cauchemar pour les enseignants, qui y voient l’échec majeur de leur travail, comme pour les élèves, qui y rencontrent d’insurmontables difficultés.
           * Pour toutes ces raisons, enfin, elle apparaît revêtue d’une charge affective bien supérieure à celle des autres domaines d’enseignement.

Tout ceci explique qu’elle soit à la fois un lieu de conflits passionnels et un champ ouvert de recherches pédagogiques. L’approche par résolutions de problèmes est évidemment la piste à explorer la plus cohérente avec les données actuelles sur l’apprentissage. Jean-Pierre Jaffré a présenté son approche par résolution de problèmes d’écriture.
Le groupe que je représente à travaillé dans une autre direction: l’approche par résolution de problèmes de lecture. Nous avons cherché à construire une démarche d’appropriation du fonctionnement orthographique de français écrit, inspirée de la démarche des Sciences de la Nature, partant de l’observation des écrits lus, pour acquérir la maîtrise de l’écrit produit.
Notre questionnement initial était celui-ci:

                       * Est-ce que l’orthographe joue un rôle dans la construction des significations ? Lequel ?
                       * Ce rôle peut-il permettre de décrire le fonctionnement de l’orthographe française de façon intéressante du point de vue didactique ?
                       * Est-ce qu’une didactique peut se concevoir à partir de cette approche et de cette description ?

Première question: Quel rôle l’orthographe joue-t-elle dans la compréhension en lecture ?

Commençons par nous amuser : voici deux affirmations extraites des déclarations d’accidents reçues par les Compagnies d’Assurances et rapportées par Jean Charles, dans l’un de ses recueils de perles.

« La dame était pleins fards ; forcément ça m'a ébloui, et j'ai perdu le contrôle de ma voiture.»

« Sitôt l'accident, le témoin a été mangé ; ça explique qu'il n'ait pas pu signer...»

Où l’on voit que les variations orthographiques peuvent avoir des effets autrement plus drôles que les habituelles sanctions... Il n’est pas sans intérêt de voir les modifications de sens apportées par les modifications de graphie qui constituent une excellente occasion de faire apparaître aux élèves l’importance de l’orthographe : on a pu observer depuis longtemps que les difficultés qu’ils connaissent en orthographe viennent moins de la complication de celle-ci, que du refus qu’ils lui opposent, dans la mesure où ils ne voient pas du tout à quoi elle sert. Sur des exemples comme ceux-ci, ils découvrent que lorsque la graphie change, le sens change aussi.
On objecte en général que cela ne fonctionne pas toujours : certaines graphies n’existent pas en français, et, dans ce cas, l’ambiguïté de sens n’apparaîtrait pas. Ce raisonnement n’est valide qu’en apparence, ainsi que le démontre l’exemple suivant : une annonce d’un journal parisien se présentait récemment ainsi :

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Certes, le mot “Accor” n’existe pas en français; mais on constate que le lecteur l’interprète alors comme un nom propre, hypothèse que vient renforcer la majuscule du mot « Générale ». Si l’on analyse le sens ainsi construit, on constate qu’il apparaît comme un effet de surimpression entre les deux orthographes: « accord » et « Accor », renforcé par l’ambiguïté du mot « générale », ambiguïté levée dès qu’on fait attention à la majuscule et au fait que cet adjectif a des marques inattendues de féminin. (Et quand on pense que certains manuels de lecture suppriment les majuscules pour faciliter les choses !!)
La variation orthographique joue ici à plein, pour produire un message à la fois économique et plaisant.
 

Voici un autre exemple, extrait d’un magazine Télé, où apparaît nettement le rôle des fameuses “lettres qui ne servent à rien” (selon la formule de certains manuels de lecture anciens...): le mot “mors” est à distinguer avec soin du mot “mort”:

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Les exemples présentés jusqu’ici évoquaient l’orthographe dite « d’usage » ; avec le suivant, on observe que l’orthographe dite « grammaticale » joue aussi son rôle : il s’agit de deux vers extraits du poème de leconte de Lisle : « Les éléphants »

Et la girafe boit, dans les fontaines bleues

Là-bas, sous les dattiers des panthères connus.

Où l’on voit que c’est l’orthographe de « connus » qui permet de comprendre le sens de la phrase : ce sont les dattiers qui sont connus des panthères et non les panthères !L’orthographe ici un rôle essentiel de mise en relation des mots entre eux.

Pour aller plus loin, étudions ce texte de Lewis Carroll:

 

Il était grilheure; les slictueux toves
Sur l'alloinde gyraient et vriblaient.
Tout flivoreux vabaient les borogoves:
Les verchons fourgus bourniflaient.

Lewis Carroll (“Au-delà du Miroir” traduction: A.Parisot)

                               

 D’où vient que ce texte, apparemment incompréhensible, est cependant perçu comme un texte écrit en français, et même qu’il est susceptible d’être analysé du point de vue grammatical: les verbes, leurs sujets sont parfaitement identifiables , ainsi que la fonction des autres groupes de mots: on peut même repérer un sujet inversé, avec un adjectif mis en apposition... On pense d’abord que c’est à cause de mots français et de terminaisons françaises de verbes: « bourniflaient » par exemple...
Toutefois, si l’on observe l’exemple suivant :

Ile est tait grille heurt; lait slictueux tove
Sûre la loinde gyrêt et vriblaie.
Toux flivoreus vabait lé beaux rogove:
    Laid verres chont four gus bourre n'y flaient.


on n’a plus ici qu’un amas de mots impossible à interpréter; pourtant, les mots français sont persque plus nombreux que dans l’autre texte et malgré cela les terminaisons ne permettent plus de repérer les verbes, ni les groupes fonctionnels. On comprend alors que ce ne sont pas les mots isolément qui donnent du sens, mais le type de relations que l’on peut établir entre eux . Or, ces relations, ce sont les marques orthographiques, variant ensemble, qui permettent de les repérer. Dès qu’on ne peut repérer de simultanéité, les variations deviennent impossibles à interpréter.

Ce ne sont donc pas les terminaisons qui signifient, mais le fait qu’elles varient ensemble.

Deuxième question: Quelles conclusions peut-on dégager de ces constats, sur le fonctionnement de l’orthographe ?

 La première remarque qui s’impose est que l’orthographe française a un fonctionnement textuel, et non lexical seulement. L’on ne peut comprendre le double système de variation de joue ou de porte : « joues/jouent » ou « portes/portent », qu’au niveau textuel : ni les mots isolés, ni même la phrase ne peuvent rendre compte de ce phénomène. Etudier l’orthographe, comme on le fait parfois, sur des listes de mots n’est donc certainement pas une bonne solution ; et l’origine des difficultés des élèves n’est peut-être pas  à chercher plus loin.  Il faut se diriger ailleurs, dans la direction textuelle, comme le fait, du reste, la grammaire, dont elle est de toute évidence une partie : la grammaire étant l’étude du fonctionnement de la langue au niveau des unités de première articulation, l’orthographe étudie ce fonctionnement au niveau des unités de seconde articulation — pour la face écrite de la langue — tandis que la phonologie l’étudie au même niveau de seconde articulation, mais pour la face sonore.

L’autre constat est que l’orthographe semble bien avoir un autre rôle que celui de traduire les unités sonores de l’oral. Ce qui ne veut nullement dire que l’orthographe française ait un fonctionnement idéographique. L’orthographe française est bien évidemment phonographique...  mais tout se passe comme si la variation des traitements phonographiques avait un rôle sémantique.

On perçoit en fait à l’écrit des oppositions distinctives de traits orthographiques, comme des traits phonologiques à l’oral. Tout comme on oppose à l’oral : « pot » et « beau ( /po/bo/), on oppose à l’écrit: « pot » et « peau ».
Ce qui, à l’oral, en communication directe est aisément repérable, quand le vocabulaire a  son fonctionnement déïctique, deviendrait facilement ambigu en communication différée: l’orthographe joue alors un rôle d’indicateur de sens qui facilite la lecture, en levant par avance les ambiguïtés possibles. On a d’ailleurs noté depuis longtemps que les vraies difficultés en français se situent dans les mots qui, tout en ayant un sens, voire un rôle grammatical différents, ont la même orthographe: “C’est  fini”/”cela s’est  fini en beauté” ; ici la différence de graphie permet de comprendre la différence de sens et de fonctionnement; tandis que “Si j’avais su que c’était si loin...” pose de redoutables problèmes aux enfants, qui ne peuvent comprendre pourquoi, en allemand par exemple, ces deux “si” doivent être traduits par des mots différents. Et pour des tout petits, rencontrer le mot “avions”, tout à fait semblable dans :
 “je regardais les avions”,
et dans:
“nous les avions  retrouvés”
est proprement incompréhensible, si l’on n’a pas travaillé abondamment sur cette étrangeté, à savoir que, justement hélas, les mots qui se prononcent pareil, n’ont pas toujours le même sens, et qu’il ne faut donc jamais se fier à la prononciation pour comprendre ce qu’on lit...

On arrive ainsi à une possibilité de modèle intéressant du fonctionnement orthographique français, dont l’outil cher aux linguistes, les deux axes croisés, l’axe horizontal des relations et l’axe vertical des substitutions permet de rendre compte.
Nous avons souligné ici divers types de variations qui fonctionnent effectivement sur chacun des deux axes, définissant deux rôles différents de l’orthographe, tous deux relatifs au sens, mais correspondant aux deux réseaux d’oppositions distinctives :

* sur l’axe des relations (l’axe horizontal), on observe des marques qui apparaissent/disparaissent ensemble, sur divers mots du texte, définissant ainsi des groupes fonctionnels, que la prononciation ne permettrait pas toujours de repérer, comme l’exemple cité plus haut des deux vers de Leconte de Lisle. Précisons bien qu’il s’agit d’un rôle de l’orthographe, et non d’une sorte particulière d’orthographe, comme on a l’habitude de le dire, en opposant l’orthographe grammaticale (qui serait logique !) et l’orthographe d’usage (qui ne l’est point !). C’est là un commentaire bien absurde, qui oublie que l’orthographe, comme tout signe linguistique, est arbitraire, c’est-à-dire, ne correspond à aucune logique externe : sa logique est celle d’un système, c’est-à-dire, interne. Toute l’orthographe est d’usage ; si je ne sais pas comment écrire le dernier mot de: « les enfants jouent », le raisonnement me permettra de penser que « joue » doit prendre des marques de pluriel, puisque son sujet est au pluriel, mais ne me dira jamais quelles sont ces marques... Le fait qu’il s’agisse en l’occurrence des lettres “nt” — dont on note au passage qu’il n’en est jamais fait mention dans les leçons d’orthographe sur le pluriel... — est aussi arbitraire que d’écrire “joue” avec un “j” ou avec “ge”.

Apprendre l’orthographe, c’est apprendre ses usages ; on constate qu’en français ces usages sont au nombre de deux : l’usage grammatical et l’usage lexical.

* sur l’axe des substitutions (l’axe vertical) , en effet, on observe, par exemple, des oppositions lexicales, comme « deux/d’eux », « vos/vaut », « t’en/temps » qui constituent des balises de sens, facilitant grandement la lecture, comme les oppositions distinctives en phonologie permettent de construire du sens à travers la prononciation des diverses langues.
                


Troisième question: quelle didactique et quelle progression peut-on envisager, à partir de ces constats, vers  la maîtrise, par tous les enfants, de l’orthographe ?

Ces constats nous ont conduits à poser trois hypothèses d’action pédagogique :

           * la maîtrise de l’orthographe passe par la construction de savoirs d’ordre conceptuel, sur le rôle des signes graphiques, et de leur organisation, en français écrit ;
           * la construction de ces savoirs peut se faire à partir de l’observation des messages à lire, et de l’analyse des opérations mises en jeu dans la compréhension de ces messages ;
           * ces savoirs conceptuels sur le fonctionnement de l’orthographe, peuvent être réinvestis dans les situations de productions d’écrits, grâce à la maîtrise de la documentation orthographique, dictionnaires et autres formes de documentation. Cette documentation n’étant pas une simple “aide”, mais un truchement indispensable de transformation des savoirs conceptuels en savoirs opératoires.

La démarche proposée part donc de constats sur le fonctionnement des signes graphiques en français, constats effectués dès les premiers apprentissages de la lecture, et réinvestis au fur et à mesure, avec l’aide de l’enseignant, dans les situations de productions de textes, pour déboucher sur des savoirs notionnels, concernant chacun des deux rôles, puis sur des savoirs opératoires, intériorisant des automatismes d’écriture, lesquels, réinvestis en situations diversifiées de production de textes, définissent ce qu’on appelle la maîtrise de l’orthographe.

La progression proposée s’organise autour de trois « périodes »

* Une première période de découvertes sur le fonctionnement de l’écrit, au moment des apprentissages premiers de la lecture, où les enfants vont découvrir que les lettres sont affectées en français à la traduction d’unités sonores, en fonction d’un système cohérent (n’importe quelle lettre ne correspond pas à n’importe quel son), mais dont les réseaux de relations obéissent à des règles complexes, liées à l’histoire de la langue: il est possible d’entendre les mêmes sons alors que les lettres sont différentes à l’écrit: “champagne” et “shampooing”; “crier” et “Christine”; inversement, on peut trouver les mêmes lettres, et entendre des sons différents: “chocolat” et “chorale”, “retient” et “patient”. Ce qui permet au passage d’éclairer l’arbitraire du signe linguistique, notion difficile, mais capitale pour la maîtrise de la langue en général et pour la maîtrise de l’écrit en particulier. Mais ils vont découvrir en même temps, que les lettres — et autres signes graphiques — peuvent jouer des rôles dans la compréhension: le mot “poids” a une lettre plus importante sur ce point que les autres, c’est la lettre “d” ; selon qu’elle se trouve ou non dans le mot, on comprendra une chose ou une autre. De la même manière, les enfants découvrent en obervant les textes qu’ils lisent, que certaines lettres ont la particularité d’apparaître ou de disparaître à la fin de certains mots; cette propriété, dont on ne voit pas tout de suite à quoi elle sert, n’est pas donnée à toutes les lettres: quelques unes seulement ont ce privilège, — les enfants ont proposé de les appeler “lettres baladeuses” — Le premier travail sur ce point est d’en faire l’inventaire; elles ne sont pas nombreuses: “s”, “x”, “e” peuvent apparaître à peu près sur tous les mots; d’autres, en plus grand nombre, n’apparaissent que sur une catégorie de mots, celle qu’on appellera plus tard, les verbes: “t”, “er”, “ez”, “ent” etc... où l’on constate que le système verbal est bien le coeur de l’orthographe, et le lieu essentiel des difficultés...

* une deuxième période, qui commence à la fin du cycle des apprentissages fondamentaux, et jusqu’à l’entrée au collège, au cours de laquelle les enfants vont ériger leurs constats en règles, formulées par eux-mêmes, mais de manière toujours relative — jamais de généralisations — et toujours provisoire: en matière de langue, une règle a toujours de fortes chances d’être un jour remise en question par un exemple non encore rencontré jusque là.
Ces règles portent sur les deux rôles:
= rôle grammatical des “lettres baladeuses”, c’est -à-dire, quelles sont les règles d’apparition de la lettre “s”, ou d’une autre en fin de mot.
= rôle lexical des oppositions de graphies correspondant à une même phonie: “dent”/“dans”/“d’en”.
- Certaines de ces graphies peuvent être analysées en éléments signifiants: “d’en”= “de cette chose”, d’où l’apostrophe, et l’écriture “en” qui est celle du pronom;
- d’autres peuvent être rattachées à un fonctionnement familial: “dent”/“dentiste” —> la présence du “t” à la fin du mot “dent”; mais ce constat ne peut être généralisé: “clouter”, et pourtant “clou”, “bénite” et pourtant “béni”, etc... A noter qu’on ne parle jamais, dans ce cas, d’ « exception » : on sait bien qu’une règle ne peut avoir d’exception sans cesser d’être une règle; en matière de science l’exception n’existe pas, on parle de classes différentes: que diriez-vous d’un savant qui prétendrait que la règle définissant les poissons a une exception, à cause de la baleine? En matière de langue, il existe des usages différents, certains sont très répandus, d’autres le sont moins; certains sont anciens, d’autres sont très récents: grammaire, comme orthographe, sont des sciences d’observation.
- d’autres enfin, ne fonctionnent que par opposition aux autres, et constituent en quelque sorte le visage du mot: c’est le cas de « dans » (si l’on ne met pas l’s, on est amené à interpréter le mot « dan », comme un degré de maîtrise en matière d’arts martiaux !)..

* la troisième période est celle de la transformation de ces savoirs notionnels en savoirs opératoires, par des exercices d’entraînement et d’intériorisation des règles construites.

Ces exercices sont indispensables au réinvestissement, en situations de production de textes, des règles observées dans les textes lus. Cette période recouvre la fin du cycle 3 et les quatre années du collège, dont il faudrait bien ne pas oublier qu’elles sont AUSSI des années d’apprentissages orthographiques.

* parallèlement à ce travail de construction des compétences orthographiques, nous avons développé, dès le début du cycle des approfondissements, une aisance dans la manipulation de la documentation orthographique: dictionnaires, Larousse de conjugaison et autres Bescherelle etc...

Un bel exemple pour terminer

En 1988, l’élection présidentielle avait fortement intéressé les enfants d’une classe de CM1 & 2 de Toulouse; ils se sont mis à rechercher dans la presse toutes sortes d’articles portant sur les élections. Cette recherche les a conduits à la une du « Canard Enchaîné » dont voici la photocopie :
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Devant ce titre, les enfants ont tout de suite pensé que le journal allait avoir un procès de plus, messieurs Chirac et Barre ne pouvant qu’être mécontents de se voir traités de « brigands » (les problèmes de liberté de la presse, et de limites à cette liberté, avaient été évoqués, et les enfants connaissaient bien ce journal satirique ainsi que ses démêlés avec la justice...). L’institutrice, tout en laissant entendre qu’à son avis, le journal n’aurait pas de procès cette fois-ci, leur a alors demandé de chercher le mot en question dans le dictionnaire. Bien entendu, à leur grande surprise, celui qu’ils ont trouvé ne s’écrivait pas comme celui du journal. D’où problème : que signifie alors ce mot “briguants” ?

Munis de leurs dictionnaires, de leurs livres de grammaire, de leur Bescherelle, ils sont partis en groupe à la recherche de ce mot bizarre, non sans avoir tous ensemble fait quelques constats préalables; un élève a même fait remarquer: “Ce mot, c’est drôle: il a un “u”; y’en a même pas besoin !”. Cette remarque a rafraîchi la mémoire de quelques uns qui n’ont pas tardé à trouver le verbe “briguer”... De toute évidence, la maîtresse avait raison: aucun procès n’était plus possible, puisque, en toute logique, messieurs Chirac et Barre ne pouvaient nier qu’ils fussent en train de briguer la présidence, et donc qu’ils fussent des « briguants »... Aucune insulte dans ce titre, même si...

Un travail du même type a été fourni sur le sous-titre, qui a fait découvrir aux enfants l’intérêt de passer de la graphie « qu’en » à « quand ». Mais le mot de la fin, c’est à un des élèves qu’il revient, lorsqu’au moment de partir en récréation, il eut cette superbe remarque: « l’orthographe, c’est drôlement chouette: ça permet de ne pas avoir de procès, même quand on veut dire des vacheries ». Malgré la verdeur du propos, certes un peu déplacé dans la classe, il faut reconnaître que ce genre d’affirmation, qui fit grand plaisir à la maîtresse, constitue une fameuse évaluation positive du travail d’enseignement...!
On le voit, l’orthographe, dont chacun souligne le poids affectif terriblement négatif, peut — et donc doit — devenir un lieu de plaisir et de jeux, à la fois condition et conséquence d’une maîtrise indispensable dans la société d’aujourd’hui. C’est pourquoi, avant de se poser la question de réformer l’orthographe (faux problème s’il en est !), il me semble plus qu’urgent de réformer son enseignement...

Et puis, n’est-ce pas la tâche première d’un enseignant, que de savoir réunir les conditions pour que les enfants apprennent ?

Eveline Charmeux.