Enseigner le français avec Eveline Charmeux

Pourquoi présenter autrement les tableaux de conjugaison ?

Loin des tristes paquets de je, tu, il (ou elle), nous vous ils (ou elles), bases d’une mélopée sonore mémorisée et récitée, dont les retombées dans la pratique langagières des élèves restaient pour le moins problématiques, la présentation des formes verbales que nous proposons dans nos ouvrages (La langue française, mode d'emploi, Editions SEDRAP Toulouse) n'est point un objet à réciter, mais un véritable outil de travail pour les élèves …

Outre que ces litanies n’ont pratiquement rien à voir avec les objectifs à atteindre, elles présentent l'énorme inconvénient d' apporter aux élèves un amas d’erreurs, traditionnelles sans doute, mais catastrophiques en réalité, pour la maîtrise de la langue en général et du système verbal en particulier. On le sait, les résultats des évaluations 6ème font apparaître une difficulté majeure des élèves à maîtriser l’écriture des verbes en production d’écrits.

L’organisation des paradigmes traditionnels en six personnes se suivant et opposant trois personnes du singulier et trois personnes du pluriel, est un vrai déni de bon sens :
1) NOUS ne saurait être le pluriel de JE, lequel comme on sait, est unique. En fait, NOUS est une pluralité (parfois, pas toujours !) qui englobe JE. Comme VOUS n’est pas le pluriel de TU, mais une pluralité qui exclut JE. Les choses sont même plus compliquées encore que pour NOUS, car VOUS qui est la forme de politesse de TU, est très souvent un singulier, exigeant des marques de singulier. Seuls, IL(S) et ELLE(S) connaissent l’opposition singulier / pluriel, parce qu’ils remplacent effectivement un GN.
2) il n’y a aucune ressemblance de fonctionnement entre, d’un côté, IL, ILS, ELLE, ELLES et de l’autre JE, TU, NOUS, VOUS. Les premiers sont de vrais pronoms, remplaçant effectivement des noms ou des GN ; tandis que les seconds ne sont en rien des pronoms, et ne remplacent aucun GN. Faire l’amalgame, c’est confondre « remplacer » et « représenter », confusion plus que grave pour les élèves et pour la compréhension qu’ils peuvent avoir de ce qu’est une langue. En fait, les seconds correspondent aux types d’écrits appelés par les spécialistes : « formes (ou plans) embrayés » (parce qu’ils contiennent des embrayeurs) (1), et que nous avons appelés, pour les élèves : « dialogues » ; les premiers au contraire, correspondent aux « formes (ou plans) non embrayés », que l’on a nommés « récits », terme souvent employé pour les élèves.

D’autre part, nous attirons l’attention de nos collègues sur le fait que la notion de verbe doit être amorcée à travers l’étude du fonctionnement de cette classe de mots (le fonctionnement des personnes) et non par le sens, comme c’est l’usage. Définir le verbe comme « le mot qui exprime une action », est particulièrement dangereux, pédagogiquement parlant, aussi bien face à des formules comme : le départ du train est à 8 heures (le mot qui exprime l’action est le départ, et ce n’est point un verbe !), que face à des formules comme : le ciel reste bleu où l’action n’est guère évidente à trouver, et l’état, s’il y en a un, aurait du mal à être trouvé dans le verbe « reste ».

Nous proposons donc de présenter les tableaux  de verbes sous la forme de tableaux à double entrée, d’un côté les différents temps et modes conçus ici comme des armoires avec des tiroirs, et de l’autre les personnes, en opposant les formes du dialogue et celles du récit, opposition capitale et qui doit être impérativement claire pour les élèves.
On observe que le « ON » apparaît deux fois, dans chacune des colonnes de formes, car, en français, il existe deux « ON » différents,

* celui qui est un embrayeur de conjugaison, — on dit aussi un “déïctique” — c’est celui qui remplace “nous” : Que fait-on maintenant ?
* celui qui est un véritable pronom indéfini : Il me semble qu’on a frappé…

On observe aussi que les formes de l’infinitif et du participe sont à part, car, comme on le sait aujourd’hui, ces deux formes ne sont point des modes, mais la forme nominale du verbe (l’infinitif) et la forme adjective du verbe (le participe)

On observe enfin que ces tableaux sont terminés par des informations jamais données sous cette forme auparavant, et pourtant très nécessaires, les familles de caractéristiques, qui définissent le fonctionnement des verbes, et que les élèves doivent maîtriser à la fin du cycle 3 :

Bien entendu, ces notions n’ont pas encore à être totalement maîtriséesà la fin de l'école primaire . On se situe dans une perspective d’approche, de préparation. Il est toujours bon que les enfants sachent que des choses existent, avant de devoir (et pour pouvoir) les apprendre de façon systématique.  De fait, ils commencent, au fur et à mesure de leurs découvertes, à s’approprier ces notions.

 Les principes qui dirigent ce nouveau type de présentation des forms verbales.

1) Des raisons linguistiques.
Il est important d’apprendre à distinguer dans la communication :
* celui qui parle
* celui à qui l’on parle
* celui ou ce dont on parle
Cette analyse permet de séparer les vrais pronoms (il, elle, ils, elles) des embrayeurs de conjugaison, comme je, tu, nous, vous, et le “on” de la langue parlée, qui remplace “nous”, relativement peu utilisé dans la conversation orale courante.
Cette distinction permet ainsi de clarifier les deux grandes formes de textes :
* les textes présentant des embrayeurs, qui ont été longtemps appelés « discours », que les linguistes proposent d’appeler maintenant « textes de forme embrayée », ou « plan d’énonciation embrayée » (pour éviter l’ambiguïté du mot discours), et que, pour les élèves, nous avons appelé « dialogue »

* les textes dépourvus d’embrayeurs, qui étaient nommés « récit », et que les linguistes préfèrent appeler maintenant, pour les mêmes raisons que plus haut, «textes de forme non embrayée » ou « plan d’énonciation non embrayée », et que, pour les élèves, nous avons décidé de nommer encore avec le terme, plus clair pour eux, de « récit »

D’où le choix de bien séparer dans le tableau, les formes verbales apparaissant dans chacune de ces formes de textes.

2) Des raisons pédagogiques :
Le terme de « conjugaison », sanctionné par l’usage, et que nous reprenons ici, mais avec un sens nettement différent, est, on le sait aujourd’hui, un terme bien mal choisi, dont le sens rigoureux n'a que peu de rapport avec les objectifs pédagogiques de l'activité. Etymologiquement, en effet, conjuguer signifie réciter dans l'ordre les formes réunies en paradigmes.

En matière de verbes (ou de tout autre phénomène langagier) l'objectif n'est pas de savoir les réciter dans un ordre quelconque, mais bien de savoir les utiliser à bon escient dans les situations de communication orales ou écrites.

Il faut donc que la présentation soit fonctionnelle, en prise directe avec l'utilisation. Comme les élèves vont avoir besoin de trouver les formes verbales, non dans des paradigmes, mais isolément, il semble bien préférable de les présenter plutôt sous forme de « tables de vérité », la présentation sous forme de tableaux à double entrée facilite la recherche : ceux-ci permettent de trouver la forme cherchée (en lecture ou en production) en croisant les deux données essentielles pour cela : la personne, correspondant à la forme de texte considérée, et le couple « temps/mode » auquel la forme appartient.