Le blog de l'amie scolaire : Questions de profs. Ce blog n'est pas un forum de débat entre partisans et adversaires de la pédagogie. Il veut être un lieu de réflexion et d'échanges pédagogiques destiné aux professionnels de l'école et à tous ceux qui s'interrogent, doutent, cherchent, souhaitent une aide à la recherche, à la pratique du métier, sans oublier les parents, bien sûr. Nous répondrons à toute question, non polémique... - Commentaires
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fr2010-09-03T09:02:37+02:00daily12010-09-03T09:02:37+02:00Pour ouvrir l'année, si on parlait un peu des compétences nécessaires pour enseigner ? - Laurent C.
https://charmeux.fr/blog/index.php?2010/08/31/152-pour-ouvrir-l-annee-si-on-parlait-un-peu-des-competences-necessaires-pour-enseigner#c1442
2010-09-03T09:02:37+02:00Laurent C.NI « FACHO », NI « REACTIONNAIRE », « SEULEMENT TECHNIQUE »
« Pour finir, — disait S. Grandserre (1) — la parole revient à Haim Ginott, au travers du texte qu’il distribuait à chacun des enseignants de l’établissement qu’il dirigeait :
«Cher professeur, je suis un survivant...
NI « FACHO », NI « REACTIONNAIRE », « SEULEMENT TECHNIQUE »
« Pour finir, — disait S. Grandserre (1) — la parole revient à Haim Ginott, au travers du texte qu’il distribuait à chacun des enseignants de l’établissement qu’il dirigeait :
«Cher professeur, je suis un survivant des camps de concentration. Mes yeux ont vu ce qu’aucun homme ne devrait voir : des chambres à gaz construites par des ingénieurs instruits, des enfants empoisonnés par des médecins éduqués, des nourrissons tués par des infirmières qualifiées et entraînées, des femmes et des bébés exécutés et brûlés par des diplômés de collèges et d’universités. Je me méfie donc de l’enseignement. Ma requête est la suivante : aidez nos élèves à devenir des êtres humains. Vos efforts ne doivent jamais produire des monstres éduqués, des psychopathes qualifiés, des Eichmann instruits. La lecture, l’écriture, l’arithmétique ne sont importantes que si elles servent à rendre nos enfants plus humains » (1).
« Alors, à nous, avec nos actes et nos mots, de défendre cet apprentissage humain, « simplement humain », concluait Sylvain Grandserre, dans son papier de janvier 2007. (2)
Les yeux de Haim Ginott avaient vu l’innommable, l’horreur absolue, camps de concentration, chambres à gaz, fours crématoires pour cadavres gazés, gérés administrativement, techniquement, rationnellement et méthodiquement, par des techniciens qualifiés et diplômés, collaborant avec des médecins empoisonneurs, des infirmières tueuses d’enfants et autres professionnels faisant « correctement » leur métier au plan technique.
Ces yeux se sont définitivement fermés avant d’avoir lu les statistiques d’élèves sortant, non lecteurs, de nos collèges.
En son temps, seuls, les « bons élèves » étaient « admis » dans le secondaire. Aujourd’hui, tous les Français passent au collège, mais nous savons qu’un sur quatre finira sa scolarité, illettré, malgré les méthodes, ou à cause des méthodes, qu’elles s’appellent Gaffi le fantôme, Planète des Alphas, Léo et Léa, etc. etc. Les méthodes permettent aux techniciens de l’enseignement d’enseigner, avec confort, la technique de déchiffrage, à la place d’un savoir faire, le savoir-lire, qui ne s’enseigne pas. Et quand ces techniciens sont en panne de phonologie, ils refilent les bébés aux orthophonistes, qui reprennent la « méthode » de syllabation à zéro.
On le sait, les chiffres le démontrent, la raison l’affirme : apprendre, c’est faire ce qu’on ne sait pas faire, pour apprendre à le faire ; apprendre à lire, c’est lire pour apprendre.
Mais, on ne veut pas le savoir.
Des analystes scientifiques réputés, gardiens du temple, fournissent assez d’études techniques sur « l’échec en lecture » pour qu’on puisse se voiler la face encore quelques siècles. Si la troupe des fantassins de rue nazis, spadassins SA ou SS, exterminait aujourd’hui, comme hier, une minorité ethnique ou religieuse, ce serait avec la plus parfaite ignorance littéraire, la plus profonde inculture. Des monstres débiles, inconnus de Haim Ginott, des Eichmann illettrés, en quelque sorte. Serait-ce vraiment une nouveauté par rapport aux années de cendre de la première moitié du XXe siècle ? En 2010, on « enseigne » toujours la « lecture » comme on le faisait en 1910. Les « méthodes » (les outils didactiques) ont changé leurs titres, la méthode et la théorie n’ont pas changé. Toutes présentent le détour par le son, la « voie indirecte », comme le chemin obligé et garanti pour parvenir au sens de l’écrit. En France, 19 CP sur 20 les utilisent. Le vingtième est taxé par l’opinion de « pédagogiste globaliste ». Rien de tel pour égarer de jeunes enfants débutant en lecture, surtout ceux issus des classes défavorisées. Les rescapés du traquenard, tous issus des classes favorisées, seront « récompensés pour leur mérite ». Tous les espoirs de «réussite» sociale leur sont permis.
La lutte des classes dans sa forme scolaire, celle qui met d’entrée de jeu les enfants de pauvres hors lecture et hors compétition, commence par consentement mutuel entre parents d’élèves, état, élus politiques, administration de l’enseignement, universitaires, formateurs et… enseignants.
« Il faut profondément remettre en question la représentation que l’on a des relations entre l’oral et l’écrit. En fait, dans aucune langue, l’écrit ne transcrit la prononciation, y compris dans les langues qui ont plus que le français recours à la correspondance phonies-graphies. C'est toujours le sens que l'écrit traduit »
nous rappelle, depuis toujours, Eveline Charmeux. Mais nous ne voulons pas le savoir, comme le chantait Brel, le grand Jacques. La survie et la prospérité du marché des « méthodes », le confort intellectuel, le conformisme, le traditionalisme, passent avant le vrai savoir-lire. Le tri sélectif destiné à la pérennisation des privilèges acquis des classes dominantes se fait à l’école, au CP, par l’ enseignement d’une technique de « lecture » qui élimine les non initiés. La mise en question de la théorie phoniste bouleverserait en profondeur le marché du livre scolaire, les structures de l’enseignement, la psychologie des enseignants, de tous les métiers de l’éducation, détruirait les repères qui jalonnent le parcours de ceux qui « réussissent ».
Les techniciens — ni « facho », ni « réactionnaires », comme le fait remarquer Sylvain Grandserre — maitrisent les techniques d’enseignement du déchiffrage (pardon, du décodage à pleins tubes). Les méthodes ont pour objectif de monter des automatismes «lettre-son» par réflexes conditionnés. Leur pédagogie consiste à évacuer sans tarder l’intelligence de l’élève, toujours encombrante et retardatrice pour finir le programme du catalogue des sons : « sers-toi du code de correspondance que je t’enseigne pour faire le bruit ! Sonorise les lettres et les syllabes, sans chercher à comprendre l’écrit ! Quand il s’agit d’apprendre la méthode, il n’y a rien à comprendre. Tu comprendras plus tard, quand tu sauras lire. »
Appliquées à des humains en devenir, ces techniques de dressage déshumanisent « techniquement » l’apprentissage scolaire de la lecture, même dans une société démocratique, sans, pour autant, être aux ordres d’un pouvoir totalitaire. C’est là, la force de l’idéologie, qui obtient sans persécution, sans répression, par la seule persuasion discrète, un ordre social injuste et des professionnels d’école, pédagogiquement et idéologiquement disciplinés, aux ordres didactiques, formés au tri scolaire reproducteur de l’ordre social. Contrairement à la société nazie, l’idéologie capitaliste s’accommode bien d’une « liberté » sans égalité et sans fraternité.
C’est pourquoi les techniciens scolaires peuvent livrer, sans état de conscience, au « marché » des catégories sociales non instruites, non qualifiées, mais tout aussi sacrifiées sur l’autel des nouveaux dieux, la pub, le foot, la téléréalité, la bagnole, le fric et la bourse. Des fournées entières d’enfants éliminés subtilement, sans crématoire. Les nouveaux dieux n’ont pas besoin de boucs-émissaires à châtier, de victimes expiatoires à dévorer. Au contraire, l’économie de consommation de masse a besoin d’une masse de consommateurs peu instruits, peu éduqués, mais dépendants, fanatiques de gadgets et avides d’acheter, faciles à gruger.
Les « techniciens » nazis savaient ce qu’ils faisaient. Les techniciens de la didactique de la syllabation, atteints de cécité pédagogique et humaniste, l’ignorent. A chaque époque, son fléau. Qu’en dirait Haim Ginott ?
1- Cela implique que instruction, distinction et noblesse de l’âme ne sont pas synonymes, les contraires culture et barbarie se marient parfois.
2- http://dcalin.fr/publications/grandserre6.html « Simplement humain ».
Il semble que l’appel de Sylvain, à qui j’ai emprunté mon titre, n’ait pas été entendu.]]>Pour ouvrir l'année, si on parlait un peu des compétences nécessaires pour enseigner ? - Eveline
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2010-09-01T13:42:02+02:00EvelineUn grand merci à Daniel , pour cette mise au point nécessaire, nécessaire plus par suite d'une rapidité d'écriture que par un oubli véritable...
Merci de nous rappeler le beau texte de Sylvain Grandserre, merci de nous rappeler — même si nous ne l'oublions jamais ! — la valeur...
Un grand merci à Daniel , pour cette mise au point nécessaire, nécessaire plus par suite d'une rapidité d'écriture que par un oubli véritable...
Merci de nous rappeler le beau texte de Sylvain Grandserre, merci de nous rappeler — même si nous ne l'oublions jamais ! — la valeur essentielle que nous avons à transmettre...
Sauf que ce n'est pas par des cours qu'elle peut être intégrée... mais par le vécu de la classe... Et si je ne le dis pas explicitement, cela est en filigrane dans tout le texte...
Mais je proteste si souvent contre les implicites, là où tout devrait être clair, que je ne peux pas ne pas être d'accord avec Daniel...!]]>Pour ouvrir l'année, si on parlait un peu des compétences nécessaires pour enseigner ? - Daniel Calin
https://charmeux.fr/blog/index.php?2010/08/31/152-pour-ouvrir-l-annee-si-on-parlait-un-peu-des-competences-necessaires-pour-enseigner#c1440
2010-09-01T13:12:54+02:00Daniel CalinSi je suis en plein accord avec cette question initiale indispensable à tout enseignement raisonné : "A quoi sert ce que j’ai à enseigner ? Quelle est sa place dans la vie sociale ?", je ne suis pas d'accord avec la question à laquelle Éveline réduit (dans ce texte) ce...Si je suis en plein accord avec cette question initiale indispensable à tout enseignement raisonné : "A quoi sert ce que j’ai à enseigner ? Quelle est sa place dans la vie sociale ?", je ne suis pas d'accord avec la question à laquelle Éveline réduit (dans ce texte) ce questionnement : "Ce qui revient à se demander : qu’est ce que les enfants devront en faire quand ils seront adultes ?". La finalité de tout enseignement (même "professionnel" !) n'est pas que pragmatique. Ces finalités pratiques ne prennent leur pleine signification qu'en s'intégrant au processus global d'humanisation qui est ou devrait être la finalité ultime de tout enseignement comme de toute éducation. Un enseignement qui n'humanise pas peut n'être qu'une propédeutique aux pires horreurs (voir ici : dcalin.fr/publications/gr... ).
Cela appelle une réflexion sur les finalités de l'enseignement en général, et sur les finalités de l'enseignement de sa discipline en particulier. A conduire pour soi, mais aussi et surtout à conduire avec ses élèves, en particulier en début d'année scolaire, pour donner sa pleine signification à la classe ou aux classes que l'on construit à chaque rentrée.
Et ces finalités impliquent toujours l'affirmation et la transmission de valeurs :
"Toute transmission de « connaissance » me semble donc emporter une transmission des valeurs qui fondent ce type de « connaissance ». Et une « transmission » de valeurs est toujours en dernier recours une imposition de valeurs. Tout enseignant, qu’il le veuille ou non, est un maître de morale."
(voir : dcalin.fr/textes/enseigne... )
Enseigner les langues étrangères, par exemple, implique un choix éthique (et politique) dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne va pas de soi et qu'il est lourd de conséquences : c'est affirmer qu'il est bon de communiquer avec des étrangers.
En ces temps obscurs, bon courage aux collègues en charge de la transmission de cette valeur essentielle !