Donc ce fameux second volet est constitué lui aussi de deux volets : des obligations et des sanctions, pour le cas où celles-là ne seraient pas remplies.

1- Les sanctions.
Comment voulez-vous que la répression puisse avoir la plus petite efficacité quand l'adversaire est un être qui n'a plus peur de rien et qui a intégré l'idée que la mort fait partie de son acte ? Il y a, dans cette volonté de punir, de multiples erreurs de raisonnement.

* Une erreur de mémoire, d'abord : avez-vous déjà oublié les risques — autrement plus effrayants que toutes nos sanctions disciplinaires ! — que couraient les résistants durant l'occupation ? Ont-ils arrêté qui que ce soit ? La seule conséquence en était que l'on prenait un plus grand nombre de précautions, l'essentiel étant de ne pas se faire prendre. Quelle que soit la croyance qui anime ceux qui se battent pour une cause, aucune menace ne les fera reculer. Et, de la maternelle à l'âge adulte, c'est le comportement universel de réaction aux menaces de sanctions, quelles qu'elles soient. C'est ainsi depuis des siècles : les être humains ont du mal à comprendre.

* Une erreur de raisonnement pédagogique : la sanction est une solution qui repose sur le présupposé qu'éduquer, c'est conditionner, comme le rat dans son labyrinthe. C'est la douleur éprouvée dans le mauvais chemin qui façonne le rat à prendre le bon. Je dis bien qui façonne le rat, et non qui lui apprend.
Être conditionné, ce n'est pas avoir appris ; c'est le contraire. C'est être enfermé dans un comportement qu'on n'a pas voulu, et qui, — quand on est un être humain — encombre tellement, qu'il faut souvent des psy pour vous en débarrasser !

* Une double erreur de raisonnement psychologique : d'une part, jamais le fait d'avoir subi une punition (et quel que soit son âge) n'a conduit celui qui l'a subie à remettre en question l'acte qui a conduit à cette punition. Il ne garde en mémoire QUE la punition, pour en tirer rancune ou vengeance.
Et d'autre part, on sait bien qu'il est des sanctions qui ne "font même pas peur", comme disaient les Charlie. Ceux qui risquent la déchéance de nationalité française s'en fichent éperdument ! Pour être malheureux d'une telle sanction, il faut déjà avoir en soi les fameuses valeurs de la République... Tout comme les ados exclus de leur collège, qui pavoisent d'en être enfin débarrassés.

* Une erreur de raisonnement moral : quand elle existe, la peur de la sanction génère les pires sentiments moraux. Rancune et vengeance abaissent le sens moral au point de le tuer. Joli résultat éducatif !

Comment faire, alors, quand il y a refus et comportement négatif ?
La sanction étant inutile, il faut prévoir autre chose, — et en amont, si possible.
On le sait, seule la parole, ouvertement libérée, dans des régulations à la fois prévues de façon normale, mais aussi susceptibles d'être organisées immédiatement, en arrêtant le travail officiel, dès qu'un événement grave se produit, a une petite chance de pouvoir résoudre les conflits. Le tort qui est le nôtre souvent, c'est de ne pas oser tout arrêter, quand il y a un problème grave : on préfère botter en touche, renvoyer le fauteur à d'autres ou l'exclure et reprendre tranquillement le cours comme si de rien n'était. C'est en réalité s'interdire toute solution réellement efficace, humaniste et respectueuse de l'autre, qu'on sait pourtant évoquer si brillamment dans les cours de morale !

2- Les obligations.

C'est bien sûr, l'autre face de la médaille de ce qu'il ne faut surtout pas faire — dans une démocratie, j'entends — car cela se fait partout, hélas !
Le grand Charles — non, pas lui, l'autre : celui de Secondat, qui était baron de la Brède et de Montesquieu — disait que la démocratie n'était possible que si les habitants étaient vertueux.... Pourquoi ? Parce que la démocratie repose sur la confiance. Sans cette dernière, elle est bancale, comme la nôtre, actuellement.
Oui, je sais, c'est souvent oublié, et ça passe pour de l'utopie ridicule. C'est pourtant incontestable : ce qui définit la démocratie, c'est qu'elle est un système du partage. Or, le partage repose sur la confiance mutuelle, laquelle disparaît dès que la méfiance arrive. Le partage repose aussi sur la motivation de chacun à partager. Mais s'il y a obligation, il n'y a plus de motivation.
Donc, la démocratie véritable a l'obligation — sous peine de n'en être plus une — de n'imposer rien : elle a à mettre tout à disposition. Et ça marche, parce que, paradoxalement, moins c'est imposé, plus chacun a envie de prendre.

Et puis, il y a des choses qui ne peuvent pas être imposées et qui doivent être vécues pour être acquises : le respect est de celles-là. Et je pense qu'il est bon de rappeler ici une distinction généralement oubliée, celle qui oppose le sentiment de respect et le rituel attaché à une fonction. Les musiciens se lèvent à l'arrivée du Chef d'orchestre : cela n'a rien à voir avec le respect qu'ils ont pour lui, qui est chose personnelle. C'est la règle de ce jeu, un point c'est tout.
Dans mon enfance, nous nous levions à l'entrée du professeur, y compris quand nous le haïssions ! Or, chacun sait qu'il y a même une certaine jubilation à manifester des apparences de respect à l'égard de ceux qu'on méprise. Et qu'en tout cas, les apparences n'ont aucune action sur la réalité des sentiments et des compréhensions : obliger un enfant à dire merci, sans lui permettre de comprendre ce que ça veut dire, c'est l'enfermer dans un rituel ; ce n'est pas lui apprendre la courtoisie, au contraire !
Sans doute, peut-on rétablir la règle du jeu qui consiste à se lever quand un professeur entre, mais, outre qu'elle n'évitera en rien les manifestations d'incivilité à côté, comme elle est aujourd'hui complètement abandonnée depuis longtemps, et pour des raisons qui sont encore présentes à l'esprit de beaucoup, cela se fera nécessairement à coup d'obligations et de sanctions, de façon parfaitement opposée au respect que l'on cherche à rétablir. Le respect est tout autre chose : il n'apparaît que fondé sur des compétences reconnues ; surtout il n'existe que s'il est mutuel, c'est-à-dire s'il est proposé en exemple par les adultes d'abord.

L'autorité non plus ne peut être imposée, et surtout pas quand elle est confondue avec la dureté et la raideur de principes posés à priori. La véritable autorité repose sur des compétences reconnues, qu'aucune relation de pouvoir ne vient pervertir. Un professeur est une aide ; ce n'est pas un patron. En tant que personnes, ses élèves sont ses égaux, différents, mais égaux ; son statut d'enseignant lui impose des responsabilités à leur égard, mais pas un pouvoir sur eux. Et le fait, souvent avéré, d'utiliser les outils d'évaluation comme une arme d'autoritarisme (et non d'autorité !) est une redoutable déviance de notre métier, qui a largement contribué à faire pâlir notre crédibilité d'enseignant.

De façon générale, des valeurs n'ont pas à être imposées : elles s'imposent d'elles-même lorsqu'elles sont vécues, et analysées en tant que telles, légitimées par l'histoire des combats qui ont permis leur reconnaissance.
C'est par la culture et l'absence d'obligation, qu'elles peuvent être partagées par ceux qui les ignorent encore. C'est par une autre façon de faire la classe, sur des contenus largement transdisciplinaires, dans une autre type de relation enseignants/élèves, que l'école pourra enfin assumer sa mission, chose qui restera impossible tant que ces données-là ne changeront pas.

Il ne peut donc s'agir d'ajouter une ou deux chapitres aux programmes, ni de consacrer plus d'heures à l'instruction civique, en continuant de déverser de bonnes paroles, pour en évaluer la mémorisation : c'est toute la conception du métier qu'il faut revoir, et en profondeur.
Seule une révolution pédagogique de cette ampleur pourrait faire que les copains de Charlie ne soient pas morts pour rien.