Il ne sait pas ses leçons, il ne travaille pas. : indicateur certes infaillible de la "mauvaise volonté" du "mauvais élève", "qui ne fait pas son travail"... Mais un indicateur qui devient faillible dès qu'on découvre, ce qui est le cas 8 fois sur dix, que l'élève a appris sa leçon et qu'il a donc "travaillé". Sa leçon, il l'a apprise, mais il ne la sait pas.
L' "impression" de cette maman, qui s'appuie sur une observation de parent attentif et qui connaît bien son enfant, conduit alors à une question : où peut se situer ce défaut de compréhension, sur ce qu'il a lu, ou sur la manière de s'y prendre pour l'apprendre ?
On a envie de répondre, comme l'autre : "Les deux, mon capitaine !" Car il est clair qu'on ne lui a appris ni à comprendre ce qu'il lit, ni à faire ce qu'il faut pour retenir ce qu'il a lu. On peut même ajouter que personne n'a songé à clarifier pour lui, comme pour ses camarades, en quoi consiste une interrogation, à quoi servent les questions qu'on lui pose, ni comment on fait pour y répondre.
Et pourtant, quoi qu'en pense l'aveugle routine scolaire, rien de tout cela n'est évident.

Où sont, pour les élèves, les difficultés à avoir résolues pour pouvoir "savoir sa leçon" en histoire ou en n'importe quelle autre discipline ?

Elles sont fort nombreuses et fort éloignées des évidences auxquelles on croit sur ce point.
Au collège, apprendre ses leçons peut se présenter sous deux formes :

* Le plus souvent, les enfants disposent d'un manuel sur lequel ils ont à apprendre le cours que le prof vient de leur donner. Le problème, c'est que, souvent, le professeur ne s'est pas servi du manuel pour faire le cours : il a utilisé ses propres documents, sa propre organisation des événements, ses propres illustrations... Et il a eu raison, bien sûr...
Mais retrouver le cours sur un manuel, qui présente les choses autrement que cela a été dit en classe, demande une virtuosité de l'esprit, qu'un élève de 6ème ne peut avoir — ni même en 3ème ni, peut-être pour plus d'un, au-delà — S'il n'y a pas eu, en classe, avec le prof, un temps de lecture des pages correspondantes du manuel, avec recherche collective des équivalences entre ce qu'on peut y lire et ce qui a été dit, les pages du manuel ne renvoient pas à grand-chose, et d'autant moins que le cours a été largement oublié dans l'heure qui l'a suivi.

* Il arrive aussi — hélas ! — que des professeurs (plutôt inconscients... Mais avec la formation qu'on ne leur a pas donnée, où auraient-ils pu prendre conscience ?) demandent à leurs élèves de prendre des notes pendant le cours — chose qui n'a en général jamais été enseignée, tout au plus, y a-t-on consacré une heure, en vitesse. Et dans ce cas, quand il s'agit d'apprendre sa leçon sur les notes prises, c'est à un cumul d'incompréhension qu'on assiste : deux niveaux de contre-sens s'entremêlent, celui des erreurs d'interprétation à l'écoute du cours, et celui des erreurs de lecture des notes, sans parler des oublis, le tout assaisonné d'erreurs d'orthographe, qui n'arrangent rien.
Le manuel est incontestablement préférable... à condition d'avoir appris à le lire.

Contrairement à ce qu'on croit souvent, rien n'est plus difficile à comprendre, pour un jeune élève, qu'un manuel. C'est un objet d'une grande complication, où, notamment, la mise en page est essentielle : l'espace des pages présente des informations variées, des encadrés, des légendes d'illustrations, des questions, dont les rôles sont divers et qui ne s'adressent pas toujours au même lecteur, parfois l'élève, parfois le professeur. Il faut apprendre à interpréter cette mise en page. Or, non seulement cela ne se fait guère, mais les premiers apprentissages de la lecture mettent le contraire en place, en défigurant les mises en page. Celle des méthodes de lecture, notamment syllabiques, a quelque chose d'ahurissant : pour conjurer l'ennui incommensurable que le travail de syllabes diffuse, leurs pages s'ornent de couleurs variées insolites, de signes de ponctuation fantaisistes ou franchement contraires aux usages sociaux : on trouve des points suivis de minuscules et des tirets introuvables ailleurs... Les mots sont parfois dans une italique bizarrement droite (que les enseignants nomment "en attaché", formule d'une grande rigueur !) ; les lettres des mots sont atomisées de couleurs différentes, dans le but d'amuser l'œil, en fait, celui d'empêcher le repérage des marques orthographiques — et de détourner l'intelligence des bêtises qu'il faut lire.

Or, dans un manuel de disciplines, comme dans tout ouvrage documentaire, toutes ces variations sont SIGNIFIANTES... Mais voilà, l'enfant n'a pas appris à décrypter ces significations. Et comme elles n'en avaient pas quand il a appris à lire, il continue à ne pas leur en attribuer, ni en lecture, ni en écriture.

Quant au sens de l'expression "apprendre sa leçon", il est loin d'être évident : il n'est du reste pas le même s'il s'agit d'apprendre un poème, ou une leçon de géographie. Et l'on se garde bien de le dire aux enfants : en sciences, en histoire, il ne s'agit pas de "savoir par cœur" et en maths, s'il y a des données à savoir par cœur, ce n'est pas le cas de tout. Il s'agit d'abord d'avoir compris et d'avoir su "faire sien" ce qu'on a compris.
Concrètement, cela veut dire être capable de le reformuler et de s'en servir dans des contextes différents : c'est-à-dire, d'être passé de l'information à la connaissance.
Et cela ne se fait pas en lisant une ou deux fois, ni en répétant les phrases. Cela se fait en notant, en reformulant par écrit ce qu'on lit. C'est même là, peut-être, la fonction essentielle de l'écriture, que de permettre à la pensée de se structurer, et même d'exister de façon solide : tant que les savoirs ne sont pas écrits, ce ne sont que fantômes de savoirs.
La plupart d'entre nous avons découvert cela fort tard, à la fac, en pestant contre tous ceux qui ne nous l'avaient pas dit plus tôt, et qui nous ont laissé ramer dans la panade avant qu'on finisse par trouver enfin, souvent grâce à des pairs un peu plus vieux...
Et puis, apprendre pour retenir, cela se fait à plusieurs : les comédiens le savent bien. Quand entendra-t-on à l'école primaire le prof des écoles demander aux élèves de s'aider à deux ou trois pour apprendre telle ou telle leçon ?

Enfin, pour ce qui est des questions que l'enseignant va poser en interrogation, la meilleure des stratégies, c'est de demander aux élèves de les poser eux-mêmes : savoir poser des questions de compréhension sur un texte, c'est la meilleure preuve que ce texte est compris. Au lieu de créer du stress en exigeant que les élèves donnent des réponses, qu'on les invite à les poser... C'est ainsi qu'ils comprendront à quoi elles servent : inverser les rôles, pour mieux les jouer. Pourraient alors s'ensuivre des débats sur la pertinence de ces questions, excellent approfondissement des savoirs de chacun...

Comme tout cela serait plus facile, si l'on avait appris à lire convenablement, et que de difficultés, d'échecs, on éviterait...
Si les habitudes d'approche des textes avaient été les "bonnes" d'emblée ;
Si l'on avait utilisé de "vrais" écrits, des textes de toutes sortes, documentaires, littéraires, scolaires, avec ou sans illustrations ;
Si l'on avait appris à lire, en SITUATION, parce qu'on avait BESOIN de savoir ce qui y était écrit, pour continuer à faire ce qu'on avait à faire.
Si l'on n'avait pas perdu son temps à des relations "lettres-sons", qui n'ont rien à voir avec la lecture et qui, par-dessus le marché disent des sottises (ce ne sont pas les "sons" qui sont en relation avec les lettres, ce sont les "phonèmes", et c'est complètement différent !)...
Si l'on avait un peu plus respecté les enfants, en pensant à l'adolescent et à l'adulte qu'il deviendront...
Si on leur apprenait tout de suite ce dont ils auront besoin plus tard.

C'est le long terme qu'il faut viser tout de suite, je vous le dis encore...
Pas seulement à l'école, du reste !