Que faudrait-il impérativement changer... tout de suite ?

Etant donné le caractère à la fois dangereux et souvent stupide des programmes 2008, toujours en vigueur, c'est évidemment à eux qu'il fallait s'attaquer en premier. L'idolâtrie manifestée depuis dix ans pour "l'ancien temps de l'école", a rigidifié encore des pratiques ancestrales plus que discutables.
Par exemple, depuis toujours, dans une majorité de classes, une "leçon" se fait à partir de questions posées aux élèves.
Comme si ceux-ci étaient censés pouvoir y répondre, donc comme s'ils savaient déjà l'essentiel de ce qu'ils ont à apprendre ! Et l'on voit les enseignants féliciter ceux qui répondent (ceux dont on dit alors qu'ils participent activement à la classe !). Si bien que, puisqu'il y a des élèves qui savent déjà, il devient inutile de prévoir des situations d'apprentissage : l'évaluation — enfin, la note, plutôt — va en tenir lieu. Et comme c'est essentiellement ce qu'attend l'Institution, on gagne ainsi un temps précieux.
Depuis soixante ans bientôt que je vois des classes, je suis outrée par cette habitude, ahurissante d'incohérence avec ce qu'est notre tâche d'enseignant. Ce n'est pas en contrôlant des savoirs qu'on les enseigne.
En fait, c'est même le contresens fondamental sur le métier, une interprétation absurde de la maIeutique socratique, une profonde incompréhension de ce que signifie "partir des savoirs-déjà-là des élèves". Il ne s'agit pas de "faire sortir" des élèves ces savoirs qui seraient enfouis en eux. Il ne s'agit pas non plus d'en vérifier l'existence pour y ajouter quelque chose.
Il s'agit de les faire évoluer — et sans avoir besoin de les vérifier d'abord — vers une solidité plus rigoureuse et plus scientifique. Et le seul moyen pour cela est, non de faire des cours en posant des questions, mais, en classe, de faire travailler les élèves, en petits groupes solidaires, sur des situations problématiques COMPLEXES, destinées à mettre à l'épreuve leurs savoirs. Cette mise à l'épreuve a comme but de provoquer à la fois une prise de conscience de ce qu'ils savent (il faut avoir conscience qu'on sait pour vouloir apprendre) et un besoin d'en savoir davantage. Rappelons au passage que la fameuse "motivation" qui manque tant aux élèves selon l'opinion publique, n'a rien à voir avec une "envie" : elle ne peut venir que d'un BESOIN, rendu conscient par un obstacle rencontré dans la réalisation d'un projet.
Etre enseignant, c'est donc savoir installer dans sa classe ces obstacles, savoir gérer les propositions de solutions des élèves, et pouvoir en tirer parti. Cela implique qu'on sache pourquoi et en quoi ils sont des obstacles pour ceux-ci, et qu'on ait appris à créer les situations permettant de les surmonter, l'objectif étant de mettre en question pour les modifier DE L'INTÉRIEUR, croyances et interprétations imparfaites ou erronées des élèves.

Cela implique aussi qu'on sache exactement ce qu'on fait et à quoi sert ce qu'on fait faire aux élèves.
Il m'est souvent arrivé de demander, aux étudiants qui venaient de présenter une séance de travail, de me préciser quel était véritablement leur objectif d'apprentissage et à quel moment, dans leur séance, les enfants ont été en train d'apprendre ce qui était prévu. L'une comme l'autre de ces questions les laissait généralement décontenancés : on voyait bien que ce n'était pas là du tout leur préoccupation.

Inutile d'aller chercher plus loin les faiblesses d'une formation qui fabrique des enseignants que de telles questions étonnent. Incontestablement, les habitudes de formation reposent sur des erreurs.
A commencer par cette notion d'objectif d'une séance de travail : on tolère, voire on demande, que figure dans la préparation la liste des objectifs de la séance. C'est oublier qu'une séance de travail ne peut avoir qu'UN SEUL objectif, celui qui précise ce que les élèves vont y apprendre, construire ou approfondir une notion ou expérimenter des stratégies — nécessairement l'un OU l'autre, jamais les deux à la fois.
Les autres objectifs, ne sont jamais spécifiques à la séance ou ne sont pas du tout des objectifs, si ce sont des compétences MISES EN JEU dans la séance. Quand je mets en jeu une compétence, je ne suis pas en train de la construire. Je m'en sers, un point c'est tout. "Autant dire, comme disait un ami prof de gym, qu'on est en apprentissage de la course à pied, quand on court après l'autobus.".

Ensuite, on se trompe sur ce que l'enseignant a à transmettre : ce n'est pas le savoir à apprendre pour l'enfant (si je le lui transmets, comment fera-t-il pour l'apprendre ?), mais les moyens par lesquels il peut se l'apprendre lui-même. Nous ne sommes pas des enseignants de réponses, mais des enseignants de moyens de les trouver.

Enfin, surtout, on se trompe sur ce qu'on a à enseigner aux futurs enseignants : non pas leur dire comment faire en classe, à partir de la "bonne" méthode (il n'y en a pas de permanente), ou, ce qui n'est pas mieux, les laisser prétendument "libres" de choisir celle qu'ils veulent, celle de leurs anciens maîtres ou celle du meilleur vendeur de méthodes. Un formateur a à enseigner comment s'y prendre pour construire — en recommençant autrement chaque fois que les élèves changent — des situations de travail pour les élèves, tels qu'ils sont, dans leurs différences, chaque année, des situations conçues, non les "occuper", mais pour rendre possible l'enrichissement de leurs savoirs. Il a à enseigner les stratégies de construction des pratiques et non les pratiques elles-mêmes.

On se rend compte ici à quel point la formation des enseignants doit être, elle aussi, rigoureusement pédagogique et parfaitement homothétique de celle des élèves dont ils auront la charge. Et si l'on a pu dire tant de mal de la formation dispensée dans les IUFM, c'est que, hormis quelques rares exceptions, elle était justement trop proche des pratiques de classe discutables, au point de n'être souvent, elle aussi, qu'un bureau d'homologation de compétences pédagogiques acquises ailleurs.
La formation n'a pas à ressembler à l'enseignement scolaire actuel : elle doit proposer un autre modèle. C'est un autre type de formation qui permettra un autre type d'école. Une formation qui puisse nourrir les futurs enseignants, qui les ÉQUIPE d'outils théoriques solides, disponibles et maîtrisés ; une formation qui sache se méfier de l'innovation pour l'innovation. Une formation à la rigueur, pour une école rigoureuse.

Il ne suffit pas de "faire faire" des séances de classe, pour les juger ensuite, en tenant PAR AILLEURS des discours sur la psychologie des enfants ou sur la linguistique, mais de préparer AVEC les étudiants, documentation théorique en mains, des séances, de façon dûment théorisée, pour en analyser ensuite la réalisation, par un retour sur la théorisation et non par des jugements, (Ces derniers n'ayant jamais permis à personne, quel que soit l'âge de l'intéressé, d'apprendre quelque chose).
Une formation en alternance n'en est une que si une rigoureuse continuité unit les deux temps de l'alternance : s'ils ne sont que juxtaposés, comme ce fut constamment le cas par le passé, aucune professionnalisation véritable ne peut s'installer.

Faire que l'École devienne un lieu où tous les enfants apprennent, sous la direction d'enseignants qui ont appris comment s'y prendre pour y parvenir, ce serait un bon plan pour les ÉSPÉ qu'on nous promet... Non ?