Enseigner le français avec Eveline Charmeux

Vivre ensemble : promenade alphabétique en marge de la classe, dans une réflexion-rêverie sur la vie avec les autres.

A comme « aimer »

Oh la la ! Quel grand mot que celui-là ! Pour certains même, un GROS mot…
Un mot tabou. A ne pas dire, et à analyser encore moins.
Et pourtant, avec tous ses dérivés, AMOUR, AMITIÉ, AMI, AMANT, et ses synonymes COPAIN, CAMARADE, ALLIÉ, sans oublier le plus joli, celui du renard de Saint Ex. APPRIVOISER, il est un véritable condensé des contradictions humaines, un absolu bonheur et une souffrance sans fond.
Il est aussi le lieu des commentaires les plus nombreux, des enthousiasmes et des rejets les plus violents.

Question pédagogique : faut-il aimer les enfants, pour être un bon enseignant ? Réponse immédiate : l'amour, s'il est obligatoire a de fortes chances de n'exister pas !

Je ne pense donc pas qu'il faille aimer les enfants. Mais qu'il soit indispensable de les considérer comme des personnes à part entière, j'en suis persuadée. Du reste, je pense qu'en classe, il est important de ne pas se servir de l'attirance plus ou moins grande que les enfants nous inspirent. Qu'on le veuille ou non, spontanément, nous ne les aimons pas tous de la même manière. Certains nous horripilent, d'autres, nous attendrissent. Et nous n'y pouvons rien. Même le cacher nous est impossible, malgré tous les efforts en ce sens que font presque tous les enseignants, soucieux d'être, comme on dit, JUSTES : ce type de sentiment, ça irradie de partout et les enfants le sentent parfaitement. Et quand il sent que l'enseignant ne l'aime pas, un élève ne peut plus vraiment travailler.

C'est pourquoi, il paraît essentiel que l'enseignant travaille avec sa tête et non avec son cœur, même si une tradition coriace affirme le contraire.

En classe, il faut avoir à l'égard de tous, une bienveillance aussi égale que possible, et surtout une bienveillance totalement indépendante des résultats des enfants. Je n'ai pas à être plus "gentille" avec celui qui a réussi, j'ai à en être satisfaite et à partager cette satisfaction avec tous les autres. De même la non réussite d'un autre doit, non me rendre triste, mais nous préoccuper tous. L'objectif, c'est que tout le monde réussisse. Bienveillance voulue et non amour (pas plus qu'amitié), qui n'a rien à faire ici

Ce qui amène à la question fondamentale : amour et amitié, quelles différences ?

Henri Tachan a une très belle réponse :
« Entre l’amour et l’amitié
Il n’y a qu’un lit de différence
 »

Vous me direz : « C’est une différence de taille ! » Certes ! Mais au plan des sentiments, c’est plus que proche.

Ecoutons La Fontaine :

« Qu’un ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur
Et vous épargne la pudeur  de les lui découvrir vous-même
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s’agit de ce qu’il aime
 »

Bien malin qui dira ici la différence entre amour et amitié !

Du reste, Tristan Bernard disait, lui : « Ce qui ressemble à de l’amour est toujours de l’amour. »
Particulièrement, quand il y a blessure, on découvre que la différence est plus que minime entre les deux : on peut se demander à l’infini ce qui est pire, chagrin d’amour ou déchirure d’amitié.

« Amour, mon cher amour, ma déchirure
je te porte dans moi comme un oiseau blessé…
 » (Aragon, et Brassens)

A méditer aussi, cette phrase de Florian : « On n’offense personne en l’aimant »…
Mais Jacques Salomé rappelle tout de même : « La tendresse, c’est aussi savoir ne pas envahir l’autre de son amour, quand il ne peut le recevoir » .

C’est parfois une immense preuve d’amour que de ne pas le dire. Un des rares cas où le négatif pourrait parfois être meilleur...

Allez, mes amis, réfléchissons à tout cela , et pour finir, deux notes de sourire : une première que l’on doit à  Hervé Lauwick :
« Un ami, c’est quelqu’un qui vous connaît bien et qui vous aime quand même… » Ah ! Ce "quand même", quel régal!!
Et la plus savoureuse, celle de Jean Cocteau :
« le verbe aimer est le plus compliqué de la langue française : son passé n’est jamais simple ; son présent n’est qu’imparfait, et son futur, toujours conditionnel ! »
Pas mal, non ?