Enseigner le français avec Eveline Charmeux

Faut-il punir et récompenser ?

Pour que les enfants construisent leur responsabilité, il faut faire disparaître le système récompense/punition.

Ce titre a de quoi effrayer : depuis toujours on considère le système récompense/punition comme le cœur et le pilier majeur de toute éducation. Quand un enfant se conduit mal, on a coutume de dire qu'on a dû être trop gentil avec lui (“ c’est un enfant gâté” !) et qu'il n'a pas été assez puni...

En fait, un tel système est au cœur du conditionnement, non de l'apprentissage.
Des chercheurs, comme H.Laborit, ont montré comment on modifie le comportement d'un animal en le punissant par une décharge électrique lorsqu'il se trompe de chemin et en le récompensant par de la nourriture dans le cas contraire. Et il est vrai qu'une partie de nos comportements est le résultat de conditionnements de ce type : avec A.Resnais, H.Laborit a superbement illustré cette théorie dans le film “ Mon oncle d'Amérique”.

Mais cela n'a rien à voir avec un apprentissage, qui est le résultat d'une construction volontaire et consciente de comportements compris et choisis. Eduquer, c'est permettre d'accéder à l'autonomie, compagne incontournable de la responsabilité. Et la composante essentielle de l'autonomie, c'est la capacité d'analyse, de repérage des problèmes, de construction de solutions, de remise en question de ces solutions... Bref, c'est l’intelligence. Eduquer, c'est rendre intelligent.

Or, la punition qui apporte du déplaisir, comme la récompense qui apporte du plaisir, ne stimulent nullement l'intelligence, puisqu'il n'y a pas de liens entre ce qui a été commis et ce qui s'ensuit. Au contraire, elles détournent l'attention de ce qui a été fait, et installent une dépendance affective à l'égard de celui qui punit ou récompense, ce qui est absolument contraire à la notion de responsabilité.

L'objection souvent présentée est que la récompense doit être assimilée à un salaire.
Pas du tout ! Il s'agit là d'un amalgame particulièrement grave : le salaire est une conséquence normale de l'activité, faisant partie de celle-ci par l'intermédiaire d’un contrat, dûment signé et parfaitement clair.
En fait, il existe deux sortes de conséquences “ normales” à une activité :

* D'une part, des conséquences naturelles ou logiques : si je casse une tasse de mon service en porcelaine de Limoges, la conséquence est que ce service va être dépareillé, et je dois accepter cette situation comme telle, ou chercher à acheter une autre tasse... si elles existent encore.
Autre exemple : j'ai bien préparé ma classe; les enfants ont été actifs, heureux, ils ont bien compris ce que je voulais leur enseigner ; ça me fait bien plaisir, et c’est normal. Je n’attends pas de récomprense pour autant : le plaisir suffit.
* Mais la conséquence peut être liée à un contrat préalablement défini. C'est le cas précisément du salaire, qui n'est pas une conséquence naturelle, mais sociale, et socialement définie, partie intégrante de l'activité. Cela n'a rien à voir avec une récompense. De même, écoper d'un coup franc ou d'un penalty dans un match n'est point une punition, c'est une conséquence prévue, inscrite dans les règles du jeu, et cohérente avec celui-ci.

Récompense et punition n'ont rien de contactuel. Ce sont des dons arbitraires, dans ce que ce terme a de plus odieux. Elles tombent d'en haut pour rabaisser celui qui les reçoit : plaisir et déplaisir y sont malsains et pervers. L’une comme l’autre ne peuvent que développer la roublardise, qui permet de commettre la faute sans être pris, ou d'obtenir la recompense sans l'avoir méritée. Et ce n’est pas la malhonnèteté du sujet qui provoque de tels comportements, c'est le système d'éducation qui les induit, sans qu'on s’en rende compte. Du reste, on a observé que la punition a même parfois pour résultat de légitimer la faute, voire de la provoquer : je peux faire ce que je veux puisque j'accepte d'être puni. Il n’y a qu’à voir les armateurs qui préfèrent payer à l'avance l'amende pour pouvoir dégazer tranquillement en pleine mer...

Si l'on veut que les enfants accèdent à la responsabilité, il faut leur apprendre à assumer les conséquences normales de leurs actes. Leur jouet est cassé... eh bien tant pis ! Ils s'en passeront désormais. Cela suffit : pas besoin d'en rajouter et de détruire l'ambiance familiale par reproches et privations.

On objectera qu'il existe des cas où les conséquences de la faute peuvent être graves pour les autres : impossible alors de "laisser passer". Mais dans ce cas, on voit mal en quoi une sanction pourrait être un remède... Empêcher la récidive ? Pas sûr du tout ! Non, la solution ici, c'est un contrat péalable, aux clauses claires et explicites passé avec les enfants, dans une réelle et rigoureuse négociation prévoyant des réparations, (et non des "punitions") toujours en rapport avec les conséquences de l’acte commis, dont les modalités ont été décidées ensemble et librement acceptées de part et d'autre.
Les choses étant fort semblables sur ce point avec les adultes, on pourrait peut-être y réfléchir comme alternative à la prison…?

Eduquer, c'est former des citoyens libres, dignes de ce nom, qui savent ce qu'ils font, pourquoi ils le font, et qui assument leurs actes. Encore faut-il que les pratiques d'éducation ne soient jamais en contradiction avec cet objectif. C’est pourquoi, enseignants et parents doivent impérativement travailler ensemble, confronter leurs principes d’éducation, et s’assurer qu’ils sont convergents. Le travail d’éducation, à l’école comme dans la famille, n’aura jamais d’efficacité sans une réelle co-éducation parents/ enseignants.

E.C.