Enseigner le français avec Eveline Charmeux.

Vivre ensemble : promenade alphabétique en marge de la classe, dans une réflexion-rêverie sur la vie avec les autres.

F comme « fidélité »

L’un des plus beaux mots de la langue française.
Malheureusement, c’est un mot souvent mis à mal dans des acceptions assez vilaines.
Enfant savant du latin « fidelis », l’adjectif « fidèle » évoque ce qui est « digne de foi », c’est-à-dire de « confiance  ». Différent de l’adjectif « loyal », (autre beau mot de la langue), qui, lui, renvoie à la « loi », c’est-à-dire à la raison, la fidélité est de l’ordre du cœur. Elle est la permanence d’un sentiment, tandis que la loyauté, c’est le respect d’un contrat.

Ensemble, ils constituent une sorte de perfection… même  s’ils ne font pas toujours équipe !
Une vie ensemble réussie implique évidemment les deux. Mais il arrive que le respect du contrat passé avec l’autre exige la destruction d’autres sentiments… D’où un amalgame qui réduit l’une à l’autre et confère à ce mot magnifique des significations fort négatives, d’enfermement et de refus.

Etre fidèle cela devient s’interdire de regarder ailleurs,  de penser autrement…
On pense alors à Sacha Guitry pour qui la définition en était : « Etre fidèle, c’est bien souvent enchaîner l’autre ».
Dom Juan, déjà avait développé magnifiquement le thème :

La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse, à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux : non, non, la constance n'est bonne que pour des ridicules, toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première, ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos cœurs.

S’ensevelir… et souffrir : c’est l’avis de Marcel Achard : « Certaine femmes font le malheur de dizaines d’hommes. D’autres s’acharnent sur un seul : ce sont les femmes fidèles. ». une vraie trouvaille, ce verbe « s’acharner »… !

Il est vrai que la fidélité qui consiste à fermer une relation sur elle-même, à cadenasser tout autre forme de sentiments, et qui se confond avec « exclusivité », peut devenir une très vilaine chose.

Et les humoristes de s’en donner à cœur joie :
Marcel Achard, encore : « Dans un couple, l’un au moins doit être fidèle. De préférence, l’autre… »
Ou Roland Bacri : « Quand je vois tous ces couples fidèles, je me dis que tout le monde peut se tromper.. . »

Et nous voilà partis vers les innombrables moqueries sur les maris trompés, ces pauvres « cocus » qui ont alimenté si longtemps le théâtre comique français.
Et, à tout seigneur tout honneur, Molière par la bouche de l’ami Chrysalde dans « l’Ecole des Femmes » :
« Si n’être point cocu vous semble un si grand bien
Ne vous point marier en est le vrai moyen. »
Logique imparable que celle de ce sage Chrysalde, qui, quelques scènes auparavant, avait affirmé parlant de certaines femmes fidèles :
« Pensez-vous qu’à choisir de deux choses prescrites,
Je n’aimasse pas mieux être ce que vous dites,
Que de me voir mari de ces femmes de bien
Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien,
Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablesses,
Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses
Qui, pour un petit tort qu’elles ne nous font pas
Prennent droit de traiter les gens de haut en bas
Et veulent sur le pied de nous être fidèles
Que nous soyons tenus de tout endurer d’elles ? »

Superbe tirade qui pose magistralement le problème de la différence entre la relation vivante  à l’autre, et la raideur des principes, qui est quelque part, une négation complète du respect de l’autre.
Les principes, véritable plaie de la vie ensemble : notion à approfondir …

Joli aussi, l’humour de Tristan Bernard :
« Il vaut mieux être plusieurs sur une bonne affaire que seul sur une mauvaise ! » Dont acte !

Ajoutons quelques propos de misogynes célèbres :
Maurice Donnay, qui soupire : « Il y a deux sortes de femmes : celles qui trompent leur mari... et celles qui disent que ce n’est pas vrai ! »
Henri Duvernois : « Ma femme ? Je ne saurais mieux la comparer qu’à une invention Française. C’est moi qui l’ai trouvée... et ce sont les autres qui en profitent. »
Jules Renard : « Cocu, chose étrange que ce petit mot n’ait pas de féminin ! »
Eugène Labiche : J’ai fini par m’apercevoir que je n’étais plus le seul à partager la fidélité de mon épouse. »
Et deux des plus « vaches » de Sacha Guitry : « Ce qui m’exaspère, c’est de penser que ce monsieur sait maintenant de quoi je me contentais »
« A l’égard de celui qui vous prend votre femme, il n’est de pire vengeance que de la lui laisser »

Infiniment amusant, tout cela, un vrai régal de l’esprit…
Mais pour moi, cela n’a rien à voir avec la fidélité, la vraie, celle qui ne doit ressembler en rien à une contrainte, une fermeture, une privation. Etre fidèle, ce n’est pas agir sur soi pour se protéger, c’est avoir un regard sur les autres, un regard fait de confiance et de tendresse inconditionnelle. Un regard, en dehors de tout principe, un regard dirigé par la permanence d’un sentiment — parfaitement opposé à la notion d’inconstance, donc — qui crée une autre logique de pensée et rend intelligent autrement.
Quelqu’un que j’aime beaucoup donne d’un ami cette définition : « C’est quelqu’un que je n’ai pas revu depuis vingt ans et que je retrouve comme si je l’avais quitté la veille ».
Très belle définition de la fidélité… sauf que, selon la formule célèbre de Barbara :

Que tout le temps qui passe

Ne se rattrape guère

Que tout le temps perdu

Ne se rattrape plus

Il me semble préférable de ne pas rester vingt ans sans se voir ! La vie est trop courte pour qu’on gâche tant d’années au nom de je ne sais quoi…

Etre fidèle à quelqu’un, ami ou amour, c’est lui conserver sa confiance, savoir laisser passer les gamelles, même si c’est lui qui les envoie ; c’est être convaincu qu’il y a toujours quelque chose à comprendre dans ce qu’il fait, et ne jamais couper le contact. La fidélité c’est aussi être toujours, quoi qu’il arrive, co-responsable de tout ce qui arrive à l’autre.
Et cela n’empêche en rien de connaître d’autres fidélités vers d’autres amis, d’autres amours, que l’on aime autrement et qui confèrent à notre vie richesse et épaisseur. Cela n’empêche pas non plus que cette « permanence », cette solidité, évolue, devienne autre tout en restant elle-même…

Ni raideur, ni immobilisme : la fidélité, en fait, c’est la vie…