A l'école, on apprend à parler et à écrire, c'est-à-dire à utiliser le langage, pour s'exprimer, selon la formule ambiguë habituelle, ambiguïté que le billet précédent a tenté de clarifier : même si le langage courant les confond, "s'exprimer" n'est synonyme ni de "dire", ni de "communiquer".
En fait, "expression" et "communication" sont les deux grands types d'utilisation du langage, dans notre vie. Et jamais celui-ci n'est utilisé pour "dire" simplement.
Depuis peu, on commence dans quelques écoles "innovantes" à apprendre à s'exprimer, notamment à travers des jeux langagiers, mais il est beaucoup plus rare de trouver des classes où l'on apprend à communiquer.
Paradoxe, la communication est, de loin, le domaine du langage le plus étudié : les chercheurs y sont encore plus nombreux que pour les sciences de l'Éducation, mais ça ne sort guère des facs, malheureusement !

En quoi la communication se distingue-t-elle d'autres utilisations du langage ?

Dans communication, il y a "commun".
C'est ce "commun" qui la définit : des "vases communicants" sont reliés entre eux par un tuyau ; des pièces qui communiquent ont en commun une porte qui permet de passer de l'une à l'autre. Tout ce qui communique ou sert à cela, contient du "commun", fût-ce d'invisibles ondes, qui unissent les êtres ou les choses qui souhaitent communiquer.
Dans le langage, chose humaine, il y a communication si celui-ci est "partagé", entre deux ou plusieurs locuteurs, et ce "partage" se traduit par des éléments, communs à chacun d'eux, dans leurs propos mêmes.

Or, on s'aperçoit qu'en classe, lorsqu'on souhaite installer un débat entre les enfants, les prises de parole, souvent nombreuses, n'ont généralement pas grand-chose de commun : elles ne "répondent" guère à la prise de parole précédente : elles s'y ajoutent, en apportant une autre information.
Elles n'ont en commun que le sujet dont on parle : c'est insuffisant pour qu'il y ait communication : un peu comme si on disait que deux pièces de la maison communiquent parce qu'elles ont en commun d'appartenir à la même maison.
Même constat chez les adultes, dans les débats télé, par exemple, où les discours des candidats ne se répondent que rarement l'un à l'autre, mais restent à côté, s'adressant davantage au public, qui lui, ne peut guère répondre. Ce ne sont pas des débats, mais des discours juxtaposés, qui informent, et ne communiquent pas.
C'est donc la prise en compte du ou des partenaires, dans l'émission même du message, qui caractérise la communication. Si bien qu'on a pu dire que communiquer, c'est, en quelque sorte, répondre par avance au partenaire.
C'est pourquoi la communication est souvent définie par la réponse au message, plus que par son émission. Quand on ne répond pas, la communication est coupée.
C'est pourquoi l'absence de réponse à un message reçu est toujours, d'une manière ou d'une autre, un affront. C'est même souvent l'expression d'un mépris affiché. On notera que cela ne retire rien à la liberté de chacun de répondre ou non : il suffit simplement de le savoir, et d'en assumer les conséquences...

Comment enseigner la communication ?

L'analyse qui précède fait apparaître que communiquer n'a rien de facile, ni de spontané. Spontanément, quand on a des choses à dire, c'est à elles qu'on pense d'abord et non à celui à qui on veut les dire.
Une fois de plus on découvre l'importance de la "différance", chère à Philippe Meirieu (et à Jacques Derrida, qui, lui, est allé beaucoup plus loin, avec elle !). En fait, apprendre à communiquer, c'est apprendre à "différer" à deux niveaux :

1- Parce qu'on ne communique pas pour "dire", mais toujours pour obtenir une certaine réponse du partenaire, il faut prendre l'habitude, avant de dire, ou d'écrire, de réfléchir à celui ou ceux à qui on s'adresse, afin de savoir pourquoi on veut leur dire cela, ce qui n'est pas toujours évident pour celui qui écrit. Il faut donc prévoir un travail d'adaptation du discours, au résultat espéré, qui inclut à la fois une prise de conscience du but réel visé (pas forcément conscient), et une analyse de ce qu'on sait du destinataire, de sa manière de réagir, de ses préférences etc., pour ne pas risquer de commettre des erreurs, souvent fatales : les fameux "malentendus".

2- Pour que la réponse en soit une, il faut que le partenaire se retrouve dans ce qui lui est dit ou envoyé, sinon ce n'est pas une réponse, c'est un discours" à côté". Il est donc nécessaire de ne pas répondre directement, mais de relire ce qui est dit, pour appuyer dessus sa propre réponse.
En classe, à l'écrit, on est est souvent surpris, en tant qu'enseignant — et agacé ! — de voir que les élèves ne répondent pas à la question posée, ou répondent autre chose.
Il existe un "truc", tout simple, qui marche assez bien et qui, utilisé très tôt, dès les premières années de l'école primaire, donne de bonnes habitudes aux élèves pour leurs études plus tard : il suffit de demander aux élèves de toujours reprendre les mots de la question dans leur réponse. Si l'on prend cette précaution, les risques de sortir du sujet sont fortement diminués.
Même chose dans un débat oral, ou écrit : pour répondre et faire avancer la réflexion, il est toujours utile de reprendre les termes utilisés par le partenaire.
Il est facile d'imaginer les situations ludiques d'entraînement à une communication à la fois efficace et qui évite les malentendus, en cherchant ensemble les divers moyens de répondre en appliquant cette règle, à partir d'une situation donnée, vécue ou rencontrée en lecture. Tout ceci n'est possible en classe que si l'on pratique des situations de communication effective, où le partenaire n'est pas l'enseignant, mais d'autres élèves et/ou des personnes étrangères, donc si l'on est en pédagogie du projet.

Où l'on voit que les activités du "faire semblant" de la tradition scolaire sont incompatibles avec un apprentissage comme celui de la communication : pas étonnant si les communications, à l'école et ailleurs, en sont si peu, et avec de si nombreux malentendus...

Pas de doute : communiquer, ça doit s'apprendre. Une vie sociale équilibrée en dépend. Elle est au cœur de tout espoir de changement.
J'aime bien, pour finir sur une note douce à l'oreille, rappeler qu'autour de la communication, qui met les êtres en relation, parfois étroite, virevolte un arsenal de notions que les pratiques traditionnelles d'éducation par la sévérité et la force, aux motivations plus ou moins religieuses, ont rendu haïssables, en les imposant... Elles sont pourtant les rayons de soleil de cette activité et les clés de sa réussite.
Chacun aura reconnu ces choses surannées que sont la politesse, la courtoisie, l'amabilité, l'empathie et même l'amitié, voire l'humour...
Elles lui sont indispensables.