Il faut reconnaître que le crû 2020 est particulièrement réussi, en matière d'inadaptation, aux enfants de six ans, à la lecture et au respect dû au professionnalisme des enseignants. Un contrôle permanent : trois évaluations dans l'année, donc une proportion importante de temps perdu, durant lequel les enfants n'apprennent rien, et où ils engrangent des erreurs, sur des épreuves ridicules.

Deux amis du blog, Nadine Lanneau et Raymond Millot ont rapporté, sur leur site, le témoignage d'une collègue de CP, publié dans Libération, qui évoque avec tristesse et agacement, des enfants de 6 ans, contraints à la station assise face à une adulte masquée, qui subissent des « évaluations » et sont mis devant des « épreuves », dont ils ne voient pas l’utilité (sauf de les dociliser), qui parfois ou souvent (selon leur origine sociale) sont mis en situation d’échec… Formatage.
Avec une conclusion admirable et sans appel, sur la politique ministérielle et ses effets : L’école, une entreprise. L’enfant, un matériau à transformer selon les normes du bureau d’étude. Les enseignants, des agents de production. Directeurs et Principaux, agents de maîtrise et bientôt contremaîtres.

Avec, cette année, un "plus" inattendu dans le pire.
Il se trouve que les trente-trois pages d'épreuves prévues en français (en moyenne deux ou trois par page : on voit le temps que cela va prendre avec des petits de six ans), déjà scandaleuses, en soi, par l'absence de toute justification (ni objectifs, ni définition de ce qu'on évalue, ni précisions d'aucune sorte sur les points prétendument évalués) sont, cette année, agrémentées d'un appendice curieux, un questionnaire, assez croquignolet, sur le vécu du confinement.
Dame ! L'école de la confiance blanquerrienne est ouverte sur la vie, la vraie : on sait intégrer la crise dans le travail scolaire !

En fait, ce sont deux questionnaires.
Un premier dont on ne daigne pas préciser pour l'enseignant à quoi il va servir, demande aux enfants d'entourer, sur des dessins d'objets proposés, où l'on peut reconnaître (avec indulgence !) une ardoise, des crayons, des feuilles de papier, une tablette, un ordinateur, un téléphone portable, la télévision, un livre, une imprimante, d'entourer celui qui représente les objets dont ils se sont servi à la maison. Il est précisé de laisser 10 secondes aux élèves pour répondre.
Des esprits tatillons diront qu'on aurait pu le leur demander directement, cela eût été plus vivant et bien moins stressant.. Oui, mais, outre qu'on n'a que faire du stress des enfants, le faire par écrit, ça fait plus scientifique !
Ensuite, on passe à un second questionnaire, de sept questions, ainsi formulées :

1- Pendant que l’école était fermée à cause du virus, tu étais à la maison. Est-ce que c’était facile de travailler à la maison ? Si tu penses que c’était facile de travailler à la maison, entoure le rond, si tu penses que ce n’était pas facile, entoure le carré.
2- Pendant que l’école était fermée à cause du virus, tu étais à la maison. Est-ce que tu t’es beaucoup ennuyé(e) ? Si tu penses oui, entoure le rond, si tu penses non, entoure le carré.
3- Pendant que l’école était fermée à cause du virus, tu étais à la maison. Est-ce que tu étais content(e) de rester tout le temps à la maison ? Si tu étais content(e) d’être tout le temps à la maison, entoure le rond, si tu n’étais pas content(e) d’être tout le temps à la maison, entoure le carré.
4- Pendant que l’école était fermée à cause du virus, tu étais à la maison. Est-ce que tes copains et copines t’ont manqué ? Si tes copains/copines t’ont manqué, entoure le rond, si tes copains/copines ne t’ont pas manqué, entoure le carré.
5- Pendant que l’école était fermée à cause du virus, tu étais à la maison pour travailler. Est-ce que tu préfères aller à l’école pour travailler ? Si tu penses oui, entoure le rond, si tu penses non, entoure le carré.
6- Pendant que l’école était fermée, est-ce que tu as eu peur du coronavirus ? Si tu as eu peur, entoure le rond, si tu n’as pas eu peur, entoure le carré.
7- Pendant que l’école était fermée à cause du virus, tu étais à la maison. Est-ce que tu as trouvé que c’était trop long ? Si tu penses que c’était trop long, entoure le rond, si tu penses que ce n’était pas trop long, entoure le carré.

Je ne sais pas quel a pu être votre sentiment en lisant ce questionnaire, mais j'avoue que pour moi, c'est un rire nerveux qui m'a saisie : je me suis sincèrement demandé si ce n'était pas là l'œuvre d'un humoriste, parodiant — avec quel art ! — la parole bêta-cucul des adultes du film de Tati :"Mon Oncle", s'adressant à l'enfant.
Si ce n'est pas une caricature, (et il semble bien qu'aucun humour ne siège ici), je pense qu'on a atteint le sommet en matière de méconnaissance des enfants, de mépris des collègues et de stupidité, tout simplement.
Tout est stupide dans ce questionnaire, à commencer par la date où il est proposé : un mois au moins qu'on est rentré en classe. L'entretien de rentrée, il y a belle lurette qu'il a eu lieu dans les classes ! Et mené complètement autrement !
Stupide la teneur des questions, comme l'ordre dans lequel elles apparaissent, qui donne une impression de n'importe quoi, et de non préparé.

Comment croire que la Science puisse faire faire de pareilles sottises ? Comment croire que des scientifiques aient pu en arriver à choisir de poser cette chape de plomb scolaire, sur ce qui devait être un moment précieux d'échanges entre enfants et l'enseignant ?
Quels type d'individus peuvent être à ce point dépourvus d'empathie pour des petits bonshommes de six ans ?
Seule certitude : les collègues n'ont à leur infliger ni ce questionnaire ridicules, ni ces épreuves inutiles !
Il y a tout de même des limites à ne pas franchir, même quand on est fonctionnaire...