Certes les commentaires qui accompagnent ce billet ont déjà bien nourri la réflexion, en démontrant, de façon lumineuse, combien ce qui porte le nom d'évaluation dans les pratiques habituelles des classes, est loin de le mériter. Ils ont ouvert des pistes essentielles. A nous de les éclairer davantage et surtout de les concrétiser.

Questions :
Pourquoi vouloir évaluer les apprentissages des élèves ?
Pourquoi le faire avec des notes ?


Commençons par ces dernières.
Les notes, pour reprendre la formule d'Alain, c'est une montagne, un Everest, d'analyses, de contestations, de preuves qu'elles ne signifient absolument rien, où, qui plus est, c'est en vain, qu'on chercherait le moindre début de commencement d'une justification... Et pourtant, sous cette avalanche, elles se relèvent intactes, chaque fois plus victorieuses que jamais, quelles que soient les plumes de paon dont elles se parent, pour se cacher : couleurs, lettres "ceintures" et autres parures.
L'argument sous-tendu de cette évidence, jamais remis en question, jamais justifié non plus, est que, pour prouver quoi que ce soit, seul, est susceptible de donner des informations sûres et précises, ce qui a été chiffré et qui peut se COMPTER. Hors des maths, point de vérité.
Donc des notes, car, menuisier ou enseignant, il faut bien pouvoir évaluer leur travail !

Oui, mais... Dans ce raisonnement imparable, n'a-t-on pas oublié un détail ?

Justement si ! On semble avoir oublié une différence, non négligeable : celle qui sépare le menuisier, de l'enseignant : le premier joue tout seul, avec son bois, ses rabots, et ses instruments de mesure : la planche se laisse mesurer sans broncher le moins du monde.
Ce n'est pas le cas de l'enseignant, qui, lui, joue à deux, comme a dit un grand monsieur. Son bois à lui, c'est un être humain, qui peut refuser de jouer, et ne se laisse pas mesurer comme ça. Il peut ne pas se plier aux règles du jeu, et, par exemple, refuser de montrer ce qu'il sait, rendant alors le travail de l'enseignant impossible à vérifier.
Le problème, c'est qu'on se heurte ici au fameux "fantasme de la toute puissance", dont parlent, avec tant de justesse, nos amis commentateurs, et tout enseignant vit avec. Nous voulons tous savoir exactement, et au millimètre près, ce que savent nos élèves...
Et ça, que ça plaise ou non à monsieur le Ministre, nous ne le saurons jamais !
En aucun cas, un exercice, réussi ou raté, ne nous apportera sur ce point une information fiable. Et que ceux qui n'en sont pas convaincus se rappellent leur enfance d'élève : combien de "bonnes notes" ont été, en réalité, le fruit du hasard ? Et combien de ratages n'étaient, en fait, que le résultat de problèmes sans rapport avec les apprentissages ?
Il existe des élèves futés, qui ont, sans avoir eu besoin de comprendre, l'intuition des bonnes réponses à donner, et d'autres, qui donnent le sentiment de ne rien savoir, parce qu'on ne leur a pas appris à savoir se servir de ce qu'ils savent, ni à prendre conscience de ce qu'il savent, ni même à savoir qu'ils savent.

Alors quelle évaluation, pourquoi faire, et comment ?

Un constat irrécusable : le seul, qui peut savoir ce qu'il sait, c'est l'élève.
Encore faut-il qu'il ait appris à le savoir. Encore faut-il que l'ambiance de la classe lui inspire suffisamment de confiance, pour qu'il ose le dire et le montrer.
Deux conditions incontournables, sans lesquelles rien ne peut changer : on ne changera la manière d'évaluer, que si la manière d'enseigner change... Changer en quel sens ?
La réponse a été dite et redite maintes fois sur ce blog : la manière d'enseigner doit devenir DÉMOCRATIQUE, ce qu'elle est loin d'être. Et l'évaluation doit en avoir les caractéristiques.

* La première, c'est d'être le fait des élèves : une évaluation ne peut être que PARTICIPATIVE, jamais effectuée dans le dos des élèves. Cela signifie qu'elle ne se contente pas de les impliquer : ils doivent en être les artisans, avec l'enseignant, et au même titre que lui.

* Il ne saurait s'agir de contrôler, ni le travail de l'enseignant, ni les savoirs des élèves. Son unique but doit être de faire le point, tous ensemble, pour savoir où l'on en est de l'aventure des apprentissages de l'année : quelle distance déjà parcourue, ce qui reste à parcourir, et comment on va s'y prendre pour arriver là où nous sommes attendus, au moment attendu. C'est dire qu'elle doit nécessairement déboucher sur des prises de décision quant à la manière de travailler le reste des contenus à étudier et/ou à revoir. Si l'on est en retard, on va réfléchir ensemble aux moyens d'accélérer.

* Tout ce qui est humain étant complexe, elle doit s'effectuer en plusieurs fois : commencée en petits groupes où sont revues et analysées, les activités menées dans la période, elle doit donner lieu ensuite à une réunion collective de régulation, avec des rapports de groupes, portant sur les problèmes de contenus, compris ou non, et sur le vécu de ces activités.

* Elle doit enfin se concrétiser à travers deux rapports, remis aux autorités et aux parents, celui des élèves, rédigé par les rapporteurs, délégués ce mois-là, et celui de l'enseignant.

* Elle doit donc être rare. Pas plus d'une fois par mois, et plutôt un peu davantage : sept à huit semaines semblent une bonne durée.

* Et comme j'aime à le rappeler, ainsi conçue, elle n'a aucune raison d'être stressante : faire le point de là où l'on en est, et définir comment on va s'y prendre pour arriver à temps, là où l'on va, c'est, en toute situation, un moment positif et revigorant.

On notera qu'ainsi conçue, l'évaluation devient un moment d'apprentissage de plus, et non, ce temps perdu qu'elle est généralement.

Jadis, Edgar Faure a dit : L'immobilisme est en route, rien ne l'arrêtera.
C'est bien ce qu'on observe aujourd'hui.
Alors, comme on ne va tout de même pas se résigner, on peut lui répondre avec Gébé, qui disait en soixante-huit : Il faut tout arrêter et faire un pas de côté !
Ensemble, c'est possible.