L'exemple de correction d'une copie de français en CM2, que je vous propose ici, peut être analysée sans états d'âme aujourd'hui : il date de la fin des années cinquante ! On peut dire qu'il y a prescription.
Je précise que le maître enseignait dans une école, dite "d'application" de l'École Normale d'Amiens. Pour ceux qui penseraient encore que cette époque, d'avant soixante-huit et ses débordements, était un âge d'or pour l'école, le modèle à retrouver, selon notre Ministre, c'est une pièce intéressante à verser au dossier.
Il s'agit d'un travail de rédaction d'un résumé d'une histoire lue en classe.
Celle-ci était tirée d'un manuel de lecture qui rappellera sans doute des souvenirs à ceux qui enseignaient ou avaient des enfants de CM, à cette époque : quasi omniprésent dans les classes, le célèbre "Amadou, le bouquillon", œuvre du non moins célèbre (à l'époque) Charles Vildrac, a fait pleurer et trembler des générations d'enfants. Une histoire qui commençait mal, mettant en scène un groupe de chevreaux qu'on menait à l'abattoir et qui le savaient... Mais dont l'un, le héros de l'histoire, fut sauvé par une petite fille qui, grâce à une maladresse assez miraculeuse, mais savamment racontée par l'auteur, lui permit de s'évader pour vivre toutes sortes d'aventures — lesquelles, rassurez-vous, se terminent très bien... Pour lui seulement : les autres sont oubliés tout de suite.
L'histoire était conçue pour occuper le travail de lecture toute l'année, astucieusement découpée en leçons hebdomadaires, accompagnées de tout l'arsenal de questions diverses : celles qu'on appelait (sans rire) de compréhension, questions de grammaire, vocabulaire, conjugaison : tout y était, et c'était bien commode pour l'enseignant.

Il s'agissait ce jour-là de résumer la leçon 3, plus exactement le passage de l'évasion involontaire, du jeune chevreau, dont voici le texte.

Extrait de : « Amadou le bouquillon » de Charles Vildrac. (Colin Bourrelier, 1948)
Leçon 3. Texte :
Le chevreau n’avait presque plus peur et abandonnait sa tête aux mains chaudes et douces. Mais il arriva que la petite fille, dans un geste de tendresse, pinça légèrement les naseaux entre ses doigts. Le biquet, le souffle coupé, voulut se dégager et tira si brusquement sur sa longe, en baissant la tête, que le collier de corde tourna, passa par dessus ses cornes naissantes et lui et pinçant une oreille en l’étranglant à demi, lui fermant un œil, vint se placer en travers de son front. L’enfant tenta de remettre le licou à sa place et n’y parvint pas, car le chevreau tirait toujours. Il tira si bien, en secouant sa tête qu’il réussit à la dégager tout à fait.

Voici la copie corrigée d'un petit Jean (qui doit être grand-père aujourd'hui) :




En voici le texte un peu plus lisible :
Le chevreau en tirant sur sa longe et celleci se mit en traver quachant sont œil fermant sa bouche pliant sont oreile. La fille tente de la remètre mais ni parvien pas. car le chevreau insiste en tirant de plus belle. et d'un coup sec passe au dessut de ses cornes mes et il fut délivrait.

Et voici le commentaire de l'instituteur :





Une dernière précision, cet instituteur (la cinquantaine), m'avait remis ces copies (il y en avait une dizaine, de la même eau que Jean), pour monter à cette jeune prof, évidemment incompétente (j'avais 27 ans !) que mes belles paroles étaient loin de la réalité du terrain, où se confirmait de façon éclatante la baisse du niveau des élèves (on était exactement en 1959).

Qu'en pensez-vous ?