Cimetière profané (qu'il soit juif ou non, qu'est-ce que ça change ?), insultes, agressions, crimes, justifiés par la seule appartenance à un groupe défini par une couleur de cheveux ou de peau, une manière de penser, de vivre, d'aimer ou de croire, ce sont là faits inadmissibles dans un société censée réfléchir avec autre chose que le cerveau reptilien...
Face à un tel virus, à son pouvoir effrayant de se propager dans toute la planète, que proposent les dirigeants de cette société ? Des sanctions ! Et de l'autorité pour imposer ces sanctions.
Donc davantage de sanctions, des sanctions de plus en plus graves, bien douloureuses, des sanctions qui fassent réellement peur, car chacun sait que la morale naît de la peur des punitions. Celles de Dieu d'abord : elles ont l'avantage d'être très impressionnantes... Mais elles ont, en même temps, l'inconvénient de n'avoir rien de certain... Aussi est-il plus prudent de mettre le paquet sur des sanctions humaines, bien choisies, bien sadiques, pour faire bien peur.

Comment une telle Société, qui a dans son CV, pas mal de révolutions courageuses, et de décisions intelligentes de progrès social, moral et civique, peut-elle à ce point régresser, oublier son histoire et affirmer tant de sottises ? Je veux bien admettre que, dans l'immédiat, on ne puisse, sans réagir sévèrement, admettre de tels actes. Mais qu'on ne fasse que ça, et que le seul discours entendu ne porte que sur le degré de gravité de la sanction qu'il faudrait adapter à la gravité des actes commis, je trouve cela scandaleux.
A-t-elle jamais vu quelqu'un changer d'avis à cause d'une sanction, et ce, quel que soit le niveau où l'on se place ? Les punitions que nous avons tous subies durant notre enfance, nous ont-elles rendus plus raisonnables ? Nous ont-elles fait réfléchir ? En fait, elles n'ont jamais remis en question les fautes et erreurs commises : juste, suscité la réflexion nécessaire à trouver les moyens d'éviter à l'avenir de se faire prendre !
Ceux, dont les croyances n'étaient que des hérésies aux yeux du pouvoir, ont préféré la mort (et quelle mort !) à l'ordre d'obéir. Dans les périodes sombres de guerre et de dictature, nombreux sont ceux que les menaces les plus terribles n'ont jamais arrêtés ; et face à des terroristes kamikases, que peut signifier la menace de sanctions ?
Le ridicule de ce choix de réponse, hélas, ne tue guère que les victimes de ceux qui le défient.

Donc si, au lieu de penser avec cette logique imbécile que nos dirigeants s'obstinent à utiliser, là où elle est inopérante, nous tentions de convoquer deux doigts de sincérité envers nous-mêmes, avec quelques souvenirs historiques et un soupçon d'introspection légère...
Qu'est-ce qui nous a fait grandir et réfléchir ? Les menaces, les sanctions, les discours ?
Non ! Seules des rencontres ont éveillé notre intelligence, dont deux essentielles :
1- la culture, avec les lectures qu'elle a entraînées, grâce auxquelles nous nous sommes heurtés à la notion d'Autre : autres lieux, autres événements, autres manières de réagir, autres croyances...
2- les êtres que nous avons aimés, dont les différences, parce que nous les aimions, nous ont obligés à sortir de nous mêmes, pour les admettre et les comprendre.

Leur point commun : provoquer une mise à distance de soi, de son petit univers fermé, et de ses certitudes. Condition indispensable pour réfléchir et apprendre : le heurt ! Le fameux "conflit cognitif"...

Or, ce qui peut diligenter ces rencontres, outre le hasard, capital — mais pas seul !— pour les rencontres du second type, c'est évidemment l'École, essentielle pour celles du premier. C'est sa vraie tâche, même si c'est rarement dit ainsi !
C'est là que la responsabilité de ceux qui la dirigent depuis quelques décennies, face au problème qui se pose aujourd'hui, prend une importance beaucoup plus grande que l'on ne pourrait le penser à première vue.
Il ressort en effet de ce qui vient d'être dit, que cette "mise à distance" par la culture, et cette réflexion, doivent arriver le plus tôt possible, dès le CP, même avant. Or, c'est un âge où les enfants sont fragiles et où ce qu'ils vivent laisse des traces, parfois définitives. C'est là que s'installent pour eux, les habitudes de pensée et de travail dont ils auront besoin toute leur vie. L'enseignement de la lecture, base de toute culture, qui constitue l'essentiel de leur vie d'élèves, cette année-là, y a une importance qui dépasse de beaucoup celle d'un apprentissage parmi d'autres.
Avec des pratiques scolaires imposées — ce qui, en soi, est déjà contraire à la démocratie définie dans la Constitution — auxquelles s'ajoute le fait qu'elles vont à l'encontre de leur fonctionnement psychologique, il est clair qu'on installe du danger pour les enfants.
La première forme de ce danger en est de rendre nécessaire une manière d'enseigner proche du dressage. Lui seul peut les "forcer" à entrer dans des contenus d'apprentissage hors de leurs possibilités intellectuelles, comme nous l'avons maintes fois démontré : la relation lettres/sons leur est complètement incompréhensible. Ils ne peuvent comprendre que la nécessité d'obéir sans comprendre. Bel apprentissage de la réflexion...
Ensuite, avec l'objectif imposé de se limiter aux "fondamentaux", installés de force dans une ambiance de surveillances et de contrôles, c'est la fonction libératrice de l'école qui est dénaturée, sa fonction d'éveilleur de l'intelligence, et la porte est grande ouverte aux comportements spontanés que provoque, entre autres, la peur des autres.
Résultat ? Ces enfants deviennent des adultes enfermés dans leurs spontanéité, peu capables de décentration sur eux-mêmes, et qui, habitués à agir sur commande, restent vulnérables, proies faciles des effets de foule, sans avoir jamais acquis le réflexe de "différer" leurs élans.

C'est ainsi qu'un choix, ne concernant apparemment qu'un domaine scolaire spécifique, presqu'anodin (du reste, aucune revendication ne concerne l'enseignement de la lecture !) et donc étranger à ces graves questions, peut en être, de fait, un des éléments responsables.
On en voit aujourd'hui les résultats : cette politique est celle, en plutôt pire, de plusieurs décennies précédentes qui ont réussi à détruire les pauvres essais vainement tentés lors des deux maigres parenthèses des années 80 et 2000 — Elle se révèle, non seulement impuissante à résoudre les problèmes présents, mais très capable d'en aggraver les méfaits à venir.

Il faut absolument convaincre le gouvernement des dangers monumentaux de cette politique et obtenir que soient modifiés, à la fois l'absurde objectif, non éducatif, de ces prétendus "fondamentaux", (qui ne l'ont jamais été), et ces pratiques d'enseignement de la lecture, stupides quant à leurs contenus, dangereuses quant à leur démarche, et dont l'aberration handicape tous les autres enseignements.
Les objectifs à viser ne peuvent être que l'installation d'une école à la fois culturelle — selon la belle formule de notre ami Bernard Devanne — et solidaire, où les richesses de chaque enfant sont à la disposition de tous. Une école où chaque enfant, objet de confiance et de respect, a droit à la parole, où ses propres savoirs ne sont ni méprisés ni ignorés ; une école où tous apprennent d'abord à comprendre ce qui les entoure, les textes, le monde et eux-mêmes, bien avant les lettres et les sons ; une école où ils apprennent à réfléchir et à réfléchir sur ce qu'ils apprennent, pour devenir capables de voir un peu plus loin que le bout de leur nez, et des non-mots qu'on leur impose.
Cette école, il faut la construire dans les détails, et la faire vivre.

C'est ainsi, et seulement ainsi, que l'on arrivera (peut-être) à tuer le racisme et la bêtise, qui en est la mère.
Pas autrement.