Apprend-on à lire en lisant avec les yeux des textes dont on a besoin en situation de communication ou apprend-on à déchiffrer avec les oreilles, sans but, pour un bon point, en situation de méthode, avant de finir chez l’orthophoniste en situation d’échec ?
Les méthodes ne laissent pas le choix. La lutte des classes se gagne par méthodes, avec méthodes. La guerre des méthodes se gagne en classe.
Dès septembre, grâce au lobby des méthodes, bienfaiteur de la médiocrité à la française, les Français de 6 ans vont psalmodier « ta te ti to tu té tè tê te », en « frappant » en cadence les consonnes.
Si c’était pour y apprendre à faire entendre le bruit des lettres, dont la moitié sont « muettes », avait-on besoin d’inventer l’école et les méthodes ? Tout enfant né dans une famille de lecteurs apprend chez lui naturellement, sans bruit, non méthodiquement, ni mécaniquement, à devenir lecteur. Il fréquente l’école, non pour y apprendre à faire « ta te ti… » comme un perroquet déchiffreur, mais pour y faire homologuer ses savoir-lire à l’œil acquis en famille, simulant le décodage scolaire oral.

En résumé : aux riches, la lecture « à l'œil », celle qui infère et une définition de l’écrit, comme représentation graphique de la pensée ; aux pauvres, la lecture « au doigt et à l’oreille » qui décode et un enseignement de l’écrit, comme transcription graphique des sons de l’oral. Deux conceptions contradictoires, deux pratiques de lecture inconciliables qui se côtoient au jour le jour dans les écoles, sans se connaitre, creusant définitivement l’écart de naissance entre nantis et défavorisés. A part quelques « pédagogistes » isolés qui se comptent sur les doigts, l’école à la française n’enseigne que la lecture « naturelle » au doigt et à l’oreille. Dans les cercles scientifiques ou commerciaux où on pense l’enseignement de la « lecture », on ne connait que celle-là, celle qui décode (à pleins tubes).
C’est elle que les chercheurs en neurosciences disent observer dans leurs laboratoires avec tomographies par émission de positons. Où que l’on se trouve, qu’on professe ou qu’on prêche, on ignore, ou l’on feint d’ignorer, par contrat, qu’on puisse lire avec les yeux, même si l’innocent savant le fait chaque jour pour ce qui le concerne. Il ne faudrait pas que ceux qui sont chargés d’enseigner la « lecture », ni ceux qui en reçoivent l’enseignement traditionnel, découvrent par erreur, par inadvertance ou par hasard, que lire n’est pas déchiffrer et que l’apprentissage « de base » du second ne mène pas au savoir-faire « perfectionné » du premier. Quel trouble didactique spécifique non répertorié cela provoquerait-il, côté élève et côté enseignant ?

Pour rater sa scolarité il faut et il suffit de ne pas apprendre à lire.

Comment ?

Comment en est-on arrivé là et comment lit-on vraiment ?
La lecture « naturelle », observée chez les enfants alphabêtisés ayant suivi un enseignement méthodique de la « lecture », enseignée par toutes les méthodes, consiste à enseigner les éléments « premiers », « les sons correspondant aux signes graphiques ». «Le maitre demande à l’apprenti de reconnaitre, en commençant par les plus simples, les signes du langage écrit et de se livrer pour chacun d’eux à un acte phonatoire déterminé… Décomposer pour recomposer des mots sonorisés, dont le sens n'a pas d'importance et dont consigne est donnée de ne pas s’en servir pour reconnaitre les mots, « le bruit des syllabes se révélant amplement suffisant pour identifier les mots »(1). Tel est le principe alphabétique, credo du méthodisme.
La synthèse phonologique exige que l’on connaisse sur le bout des doigts le CODE DE CORRESPONDANCE graphophonologique, que l’on traite le français écrit comme une langue purement phonographique et que l’on en ignore méthodiquement l’orthographe, faite de lettres soit muettes, soit en rupture avec le « code de correspondance ».
Pour cela il faut impérativement écarter des « leçons de lecture » les « mots irréguliers », si nombreux en français. Ils sont bannis des « livres de lecture » pour leur appartenance à une langue idéo-visuelle non phonogénique qui désobéit aux règles de correspondance du « code ». Dit autrement, le maitre bien formé doit faire travailler le jeune écolier sur des mots, très rares en français, qui ne portent que du son, n’ont aucun sens, ou sur des mots isolés, sans contexte.
Il doit enseigner et ses élèves doivent apprendre à lire dans une langue qui n’existe pas. Du fait de la rareté de ces mots purement phonographiques les méthodistes phonistes et les docteurs en « science de la lecture » en sont réduits à proposer à leurs cobayes des pseudo-mots, mieux, des non-mots. Car il est important pour la suite, pour l’avenir, pour demain, que le sens ne vienne pas perturber le décodage et que le lecteur novice ait bien intégré que l’écran et le papier sont les supports d’enregistrement des sons de la parole. Par conséquent, il est important qu’il apprenne à « lire » du son, pas du sens.
En lui proposant des non-mots on s’assure ainsi qu’il ne s’appuiera pas sur leur sens pour reconnaitre des mots inexistants, inventés pour leur non-sens, ni sur des lettres « irrégulières », malencontreuses indicatrices de sens qui pourraient l’entrainer sur la pente interdite de la lecture intelligente. Il finirait par croire que l’écrit code de la pensée, comme le disent les « pédagogistes », saboteurs de l’école fondamentaliste.
A « lire » des non-mots écrits avec des lettres sonores ou des mots sans contexte, l’apprenti-lecteur se dirige dans l’obscurité, les yeux bandés, l’intelligence bâillonnée. On attend du décodeur qui ne sait pas lire qu'il écoute des sons qui, émis par lui-même, sont sans garantie d’authenticité.
Tout le monde y gagne, sauf la victime. Perte de sens, déni de l’orthographe, échec total du déchiffrage conduiront finalement le « sujet » confus en officine de réparation du « décodage ».
Que de carrières universitaires sauvées et assurées par l’école des sons ! Le dyslexique, garçon « intelligent et studieux », connait son « code ». Il a bien compris, preuve d’intelligence, que « lire, c’est émettre le son correspondant à chaque signe graphique » et que la recherche intempestive de sens ne doit pas polluer le bruit des lettres. Mais il s’emmêle les pinceaux graphiques. Son délire sémantique le pousse à l’inversion syllabique. Ayant douloureusement intériorisé le divorce de ses parents, il ne veut pas savoir que B et A font BA. Il fait AB comme le canard fait coin-coin, dans les deux sens. Par refus défensif de s’approprier activement la sonorisation des lettres, il se réfugie dans l’AB-RÉACTION. Pire, sa confusion idéographique le conduit à chercher du sens là où la méthode cognitive naturelle lui recommande de chercher des sons.
Énorme sonnerie !

Comment ne pas « réussir » son apprentissage de la « lecture » ?

En apprenant à déchiffrer, à mettre des bruits, codés par une fausse science neurocognitiolinguistique, sur les lettres d’une langue phonographique pour manuels de syllabation, qui n’existe ni dans la culture française, ni dans le champ linguistique francophone écrit, mais pratiquée religieusement dans les temples.
La fonction de la prétendue « querelle des méthodes » est de faire diversion pour occuper l’actualité scolaire et faire figure de « débat pédagogique soucieux de l’intérêt de l’enfance ». Belle une de couverture illustrée pour les intérêts moraux et financiers de ceux dont la carrière est indissociable de la bonne fortune et la prospérité des manuels didactiques de syllabation ! Les méthodistes ont annexé la didactique de la syllabation et donc de la lecture puisque selon leur définition c’est pareil, les guérisseurs, le traitement de l’échec en déchiffrage et lecture confondus.
La « méthode de lecture » trompe les enfants, la « querelle des méthodes » égare les parents et les enseignants.

La dyslexie, quant à elle, qu’elle soit « de surface, d’adressage ou mixte », se définit comme un « Déficit durable et significatif du langage écrit qui ne peut s’expliquer par une cause évidente.» ou encore, comme une « Difficulté d'apprentissage de la lecture et de l'orthographe, en dehors de toute déficience intellectuelle et sensorielle, et de tout trouble psychiatrique. » On y définit le déficit et le trouble de lecture sans préciser ce que c’est que lire et bien lire, car cela va de soi, lire c’est sonoriser les lettres qui veulent bien se faire entendre. Pour les « muettes », les méthodes de déchiffrage ne sont pas concernées, les « soins », non plus.
Tout l’intérêt de ce « trouble de la lecture », c’est que l’enfant l’attrape, très jeune, avant d’avoir appris à lire et que sa pathogénie est active à vie. Tout le langage écrit étant concerné, tout déficit intrapsychique déclaré introuvable, toute hypothèse extérieure à l’enfant est impensable, hérétique, donc exclue du champ des sciences sociales et de la vie. Relevant du surnaturel, la mystérieuse dyslexie reste le carburant intrinsèque de toute confession scolastique ou religieuse, même athée. Ainsi, taillée large, la « définition 1 » ferme la porte et la verrouille à toute recherche, quelle qu’elle soit : « on ne l’explique pas ». On ne peut que constater, désarmé, « le trouble » et soigner les individus affectés par un mal dont il serait vain de chercher l’étiologie.

Qu’en est-il de l’étude du milieu scolaire comme terrain de recherche des causes de l’échec ? N’y pensez pas et fermez la porte aux « évidences » ! La « 2 » exclut définitivement toute question pédagogique, voire toute enquête scientifique ou policière, approfondie ou de surface, sur la didactique de « la lecture ». Il s’agit ici de « difficulté d’apprentissage, inexplicable, sinon par les mystères de la foi de charbonnier ». Non, il ne s’agit pas d’erreur d’enseignement, voire de tromperie didactique. N’allez pas croire aux hérésies ! Pour rendre l’apprentissage de la lecture difficile, faites confiance aux méthodes de déchiffrage orthodoxes !

Voici quelques-unes des « difficultés » qui signent « la dyslexie », référencées par les centres de neuropsychologie :
* devine parfois les mots en se fiant aux premières lettres ou encore en se fiant au sens de la phrase ;
* difficulté à reconnaître les mots dans leur ensemble ;
* difficulté à lire les mots irréguliers (ex.: monsieur, fils, femme, etc.) ;
* saute les petits mots de relation et de liaison dans les phrases ;
* compréhension de lecture difficile puisque l'enfant est centré sur le décodage…

Ces symptômes de la « dyslexie » sont ceux de tout « lecteur » débutant et naïf, qui s’efforcerait, pour son malheur, de suivre à la lettre les consignes du manuel de déchiffrage.

« L’erreur en lecture est une simplification de ce qu’il faut déchiffrer.(2) »

Les « mécanismes » de l’échec scolaire

Avec l’infaillibilité des méthodes, l’erreur en phonologie, en graphophonologie, se fait faute et la faute, défaillance. Se fier au sens, comprendre la fonctionnalité sémantique de l’orthographe, de ces lettres sans bruit, chercher une signification, quelle juvénile sottise ! Ne pas reconnaitre les mots longs dont on fixe avec un doigt chaque syllabe, une à une comme enseigné, quelle faiblesse intellectuelle ! Ne pas savoir lire un mot orthographié hors du CODE DE CORRESPONDANCE, quelle incapacité ! Passer les mots courts en sautillant, comme un lecteur de sens, quelle impiété phonique ! C’est le réflexe du captif incarcéré sans jugement à la recherche d’une issue libératrice. Les « fautes de lecture » sont tentatives maladroites de déchiffrer chez des élèves dociles respectueux des prétendues « règles de correspondance », qui ne fonctionnent que dans les « manuels de lecture ». Les rééducateurs ne laisseront pas ces louches manœuvres sans surveillance. On veille. S’il parvenait à échapper à la méthode, la médecine de la phonologie le rattraperait.

La réflexion pédagogique, intime ou publique, personnelle ou collective, sera donc le monopole de la psychologie du neurone, aussi verrouillée que la didactique de la lecture aux mains des méthodistes, et à qui l’imagerie par résonance magnétique garantit le privilège de l’exclusivité de la pensée didactique dominante, par on ne sait quel détour rhétorique. Quand le gouvernement de l’éducation et de la chose publique(s) étale sa belle indifférence aux destins dramatiques de millions de Français « en échec scolaire », préambule de l’échec social, offrant de belles carrières aux corporations du conservatisme réunies, il leur ouvre un boulevard de beaux jours, de beaux bruits, de belles « lettres » sonnantes, mais de mauvaises récoltes scolaires. Et les privilèges sont bien gardés ! Pour plus de vingt millions de Français illettrés, passer à l’écrit est une situation à risques. C’est une catastrophe sociale « naturelle » programmée et renouvelable à chaque rentrée pour l’éternité. 7,4 élèves sur 20 finissent l’école primaire non lecteurs, entrent en 6e et quittent le collège sans savoir lire.(3)

« Par la faute des pédagogistes et de l’Arlésienne soudés dans un même complot contre L’ÉCOLE », évidemment !
Quand on a pour destin d’occuper le territoire scolaire, d’y pervertir la pédagogie de la lecture et saboter les apprentissages, on gagne crédibilité et légitimité intellectuelle en s’identifiant, teint rose sous masque de pierrot pâle, à L’ECOLE. On peut alors se présenter comme réparateur-sauveteur de dyslexiques médicalisés.

L’enfant de 6 ans, qui a une confiance absolue, totale dans l’adulte qui l’éduque et l’instruit, a été formé, par conditionnement, à associer une lettre-un son, à négliger les lettres « muettes », à se défier du sens des mots, de leurs interactions explicites et, surtout, implicites. Il a dû apprendre à disséquer ces mots méthodiquement signe-son par signe-son. Pourra-t-il un jour échapper à ce conditionnement, à s’en défaire, malgré les consignes inculquées, gravées dans l’inconscient, sans l’aide bénévole d’un lecteur sauveteur désintéressé non-professionnel ? Pourra-t-il réapprendre à regarder un écrit avec les yeux de l’intelligence et le saisir dans sa complexité, dans son intégralité, doté d’une orthographe précise, spécifique et d’un contenu signifiant Pourra-t-il se réapproprier tous ces composants du message écrit qui font entrer dans le monde et la culture, toutes ces compétences interdites, parfois punies, au CP et plus tard ? Combien se sauveront, combien se noieront ? Plus d’un tiers des élèves français ne s’en sortira pas. Quelle instance réparera les préjudices ? Qui rendra compte devant l’histoire et devant la justice sociale ?

Pourquoi faut-il que les enfants de France soient obligés de voler à l’extérieur la lecture qu’on leur refuse à l’école ?

Oui, pourquoi en France, pays des Lumières, de la Révolution, des Droits de l’homme, de Jean Jaurès et de Victor Hugo ? La francisation des provinciaux non francophones s’est achevée au milieu du XXe siècle. Pourquoi s’acharner à faire sonner les lettres d’une langue que tous les Français entendent depuis leur naissance et apprennent avec leurs mères ? L’enseignement de la syllabation est volé aux heures de lecture. Présenté comme une « leçon de lecture », ce détournement construit une muraille infranchissable entre les élèves d’origine modeste et la culture, que ce soit pendant la durée de leur scolarité ou par la suite durant leur vie adulte. Mais ce n’est pas tout. La syllabation des lettres se substitue définitivement à la pensée de l’écrit par l’écrit. Pour les syllabeurs déchiffreurs, penser devient un mode d’apprentissage étranger à l’école et banni de leur vie. Quel est l’intérêt de l’Etat dans cette catastrophe scolaire ? D’un gouvernement de droite, on le devine. Mais d’un gouvernement de gauche ? Où est le véritable intérêt des maitres ?
Car la liberté pédagogique autorise les maitres et maitresses à renverser le plateau de l’offre commerciale et à pratiquer une pédagogie de la lecture en lisant, sans méthodes et sans manuels de déchiffrage, sans syllabaire. Sous des apparences éditoriales diverses, le commerce des manuels « de lecture », ne propose qu’une seule et unique démarche d’initiation à « la lecture », synthèse d’unités « de lecture » élémentaires littérales identiques fondées sur le postulat que les lettres sont les « habits » des sons de la langue parlée. La « querelle » n’est que rivalité commerciale. Un état démocratique faisant passer le bien public avant des intérêts commerciaux privés peut-il sous-traiter l’enseignement de la lecture à l’horlogerie du tic-tac des lettres ? (4)

Le poids de la propagande démagogique de l’ogre protéiforme de la conservation pèse des tonnes à côté des petits poucets de la pédagogie. Les intérêts des ateliers de réparation phonologique rejoignent ceux du commerce de « la lecture » dans le même concert orchestré. Leurs combats se rejoignent. La stratégie est efficace et bien rodée. On commence par imposer aux écoliers l’enseignement du son des syllabes. Ensuite on lance des rumeurs, des légendes et des mythes sur les boucs émissaires désignés : globale arlésienne, pédagogistes pathogènes, paresse des mauvais lecteurs, dyslexie à 2, puis 4, puis 6, puis 8% et dys de der.
Les généralistes en soins coordonnés signent des indications de rééducation phonique dont ils n’ont pas la moindre idée. On crée des associations de parents de dyslexiques, des classes pour dyslexiques, des centres d’orthophonie municipaux, des CMPP de la phonologie de l’écrit, en nombre toujours insuffisants. Enfin, on revendique. On réclame moins d’élèves, plus de maitres, plus de manuels d’enseignement couteaux suisses tout-en-un programmés, plus de structures de soins spécifiques, plus de médecins spécialistes, plus d’enseignants spécialisés, plus d’orthophonistes, pour faire plus de « médiation phonologique », plus de « code de correspondance phonographique », plus d’études scientifiques de validation des méthodes, plus de neuroscientifiques spécialistes de la « conscience phonologique » sous IRM, bref, plein de plus pour faire PLUS DE LA MÊME CHOSE.

Coca, Mac Do, Méthodo, même ambition : faire des bénéfices par abus didactique et de faiblesse sur mineur, abus de confiance sur instituteur et sur docteur. Il est aussi honteux et facile de tromper des enseignants que des enfants de 6 ans. Ni pape, ni Dieu, ni Maitre, personne n’oblige un enseignant (au sens générique) à se faire client, consommateur, promoteur de méthode « de lecture ». Pénaliser l’abus didactique sur mineur ne germa jamais dans l’esprit du législateur élu de quelques électeurs. Parce que les enfants ne votent pas ?
Mais l’abus de confiance sur majeur ? Le doute est le cancer de la foi, le religieux n’est pas judiciarisable, la justice n’est pas de ce monde. Un adulte abusé peut-il être rassuré par la promesse de réparation-sauvetage des échoués sur le sable de la syllabation ? Parce que l’économie de l’échec scolaire génère des milliers d’emploi de professionnels du sauvetage en sonorisation des lettres, fidélisant une clientèle captive d’enseignants sans formation et de parents affolés demandeurs de manuels, d’enfants désorientés pour soignants sourds comme pots de terre, des d’étudiants de haut niveau, explorateurs de théories de lecture précolombiennes, se font savants dans les amphis d’université des sciences médiévales de l’éducation.
La vérité seule ne fait pas le poids face au vacarme de la syllabation
Tant que les pédagogues ne se rassembleront pas en groupe de pression politique, la pédagogie de la lecture, si dangereuse pour le monopole méthodiste, passera pour diable cracheur de feu dans les écoles, dans les centres de formation, dans les officines médicales, dans les familles, alentour et au cœur des instances de décision. Plus les pédagogues feront silence, comme livre, plus leur réputation sera bruyamment sulfureuse dans les propos cyniques des phonistes de la syllabation !

Laurent CARLE, août 2016

(1) Pierre LEFAVRAIS, Les mécanismes de la lecture, EAP, 1976.

(2) opus cité
Le titre de l’ouvrage, évocateur du statut consenti à l’écolier, indique aux étudiants en première ou dernière année et aux professeurs débutants qu’éduquer, c’est dresser l’oreille. Or, justement, l’enseignement du déchiffrage préconisé par P.Lefavrais consiste à simplifier l’écrit jusqu’à le réduire à une suite arbitraire d’éléments de langue découpés, simplifiés à l’extrême, jusqu’à devenir une succession de sons inouïs, insensés, baptisés unités de lecture, dépourvu de toute intention, loin de tout projet social à visage humain. En déclarant que simplifier est une erreur P. Lefavrais avoue donc que le déchiffrage-décryptage-syllabation-décodage-simplification sans but social est une erreur fondamentale de lecture dans laquelle la syllabation méthodique entraine les enfants qu’elle est censée instruire. L’aveu de simplification didactique, source d’erreur de « lecture », par P. Lefavrais en 1976, a-t-il entrainé chez les prédicateurs du « décodage » simplificateur, et chez lui-même, une déchirante révision de leurs conceptions erronées de la lecture et une réforme définitive de la théorie et des manuels d’enseignement ? On ne trouve nulle trace de cette « modernisation » dans les manuels actuels, semblables au passé et conformes à la doctrine. Au contraire, la régression intellectuelle repousse, toujours plus loin dans le passé, les auteurs et leurs utilisateurs, maitres de CP, à demander à l’apprenti de reconnaitre, en commençant par les plus simples, les signes du langage écrit et de se livrer, pour chacun d’eux, à un acte phonatoire déterminé, rituel scolastique recommandé par Lefavrais lui-même dans le même ouvrage. Si apprendre et se former c’est prendre conscience de ses erreurs pour en tenir compte, les corriger et avancer, Pierre Lefavrais et ses collègues phonistes sont piètres élèves mais vénérables clercs d’un rite de passage qui s’appuie sur la magie plutôt que sur l’intelligence, pour élever l’élève d’une lecture « phonatoire » à une lecture pensée. On évalue encore aujourd’hui le niveau de lecture avec son fameux test, dit de lecture, L’alouette, qui mesure uniquement les mécanismes du décodage oralisé (les réflexes phonatoires), sans rapport avec la lecture. La connaissance des experts en syllabation-décodage n’a pas plus progressé entre 1976 et 2016 que lors des précédentes décennies. Pendant ces quarante années, des milliers d’enseignants et d’étudiants en sciences de l’éducation se sont formés à enseigner des techniques qui empêchent les élèves d’accéder au sens de l’écrit. Un enfant, ignorant de naissance, qui est censé fréquenter l’école pour s’y instruire et s’y éduquer, n’a pas droit à l’erreur que P. Lefavrais, théologien de la faute, traque avec son Alouette après avoir formé ses étudiants à l’enseigner. La carrière de l’universitaire des sciences humaines repose sur sa renommée et sa conformité aux dogmes plus que sur sa contribution à la connaissance scientifique et au progrès humain. Il ne cherche pas ce qu’il ne sait pas, mais confirmation d’idées reçues qu’il a faites siennes. Il a acquis ses grades sur la production de thèses conformes à de supposés préceptes qui parcouraient la campagne avant la création de l’école primaire au XIXe siècle, avant, même, l’ère Gutenberg. Assises sur d’antiques doctrines dépassées mais consensuelles et donc validantes auprès des jurys et conclaves, quoiqu’inappropriées à la pédagogie de la lecture parce qu’elles prêchent du faux validé par son ancienneté et sa conformité à la tradition scolastique, ces thèses sacralisées encouragent les méthodes didactiques de simplification de l’écrit qui se pratiquaient dans les siècles de la France à cheval, ou à dos d’âne. Contrairement à l’écolier, pécheur ignorant, porteur de la faute originelle, l’erreur lui est acquise à titre de vérité par son statut de savant. Sa seule publication fait de l’erreur une science de l’éducation pour les siècles et siècles. Il le dit. On croit ce que le savant dit. Toute religion est fondée sur la foi en des récits invérifiables et des mythes sacrés. En vérité, il est journaliste des religions, gardien du temple, de la foi et de la liturgie.

(3) En 2012, 37% des élèves de 15 ans ne maîtrisent pas la compréhension de l’écrit à la fin du collège (PISA 2012).

(4) Consigne à l’enfant de 6 ans, sous forme de conseil pédagogique donné à son maitre :
« 1- on lit avec ses oreilles : ouvre grand tes portugaises !
2- ouvre le bon œil ! Un seul suffit, car tu dois fixer ton regard sur 2 lettres seulement (consonne-voyelle), 3 au plus (CVC ou CCV) que tu pointes avec l’index ! Mieux que l’index, une petite fenêtre de visée, découpée dans un carton ! Si tu regardes plus de trois lettres tu t’égareras dans la globale qui rend sourd, muet, alexique, dyslexique, dysphonique, dysphasique, dysgraphique et dysorthographique.
3- articule bien ces trois lettres – sans les nommer, le bruit suffit - pour faire la fusion syllabique qui va te faire identifier les mots de ton vocabulaire et les non-mots de la méthode ! »