Depuis longtemps l'organisation des demies-journées à l'école primaire semble à beaucoup d'entre nous discutable, génératrice de difficultés, voire de violence.
Diviser ces trois heures en deux fois une heure un quart, où les enfants sont assis et doivent écouter ou écrire — à la rigueur répondre aux questions de l'enseignant — avec une demie-heure entre les deux où les enfants sont quasiment livrés à eux-mêmes, est un système adapté aux besoins des... adultes, mais certainement pas à ceux des enfants. Pour l'adulte, c'est très confortable : une heure et quart où il bouge, lui, c'est suffisant et la demie-heure qui suit est une pause bienvenue et nécessaire.
Pourtant, c'est loin d'être ce qui conviendrait aux enfants.
D'abord, rester assis une heure un quart, même si c'est divisé en petits morceaux curieusement baptisés, "mathématiques", "grammaire", "lecture" ou "histoire", c'est long, d'autant plus que cette succession est loin d'avoir du sens pour tous. Ceci étant aggravé par le fait que les enfants sont isolés chacun à sa place, dans une organisation matérielle des tables aberrantes (en "autobus") où tout échange est impossible, même lorsque, par extraordinaire, il n'est pas interdit, et où les enfants se tournent le dos, donc entendent souvent mal ce que disent leurs camarades interrogés.
On sait pourtant que les enfants de cet âge ont un énorme besoin de bouger : or, le plus souvent, la seule activité physique prévue dans ce laps de temps est l'interrogation au tableau, moment inutile par excellence , qui n'est ni un moment d'apprentissage, ni un moment d'évaluation, et encore moins une situation de vie, et qui consomme en pure perte un temps précieux.
Ce n'est pas d'hier, pourtant que des collègues comme H. Montagner et d'autres ont proposé d'autres organisations, qui permettent un peu plus de vie intelligente dans la classe :

* La première nécessité, indiquée depuis des lustres, serait, que les élèves travaillent en classe au lieu d'écouter des explications qui, pour eux, n'en sont jamais, puisqu'en général, ils ne les ont pas demandées. Attention, !! "travailler", cela ne veut pas dire "faire des exercices écrits". Cela veut dire, faire ensemble des recherches, des résolutions de problèmes dont ils savent à qui ça peut servir. J'insiste bien : travailler "ensemble" en petits groupes et en se voyant les uns les autres.

* La seconde nécessité serait que la classe fût organisée matériellement autrement. L'idéal serait la "table ronde", autour de laquelle, comme pour les chevaliers du même nom, tout le monde est à égalité autour, enseignant compris ; ou bien l'organisation en petits groupes de travail, à condition de réserver un endroit où toute la classe peut se réunir, pour échanger ou observer des documents affichés, exactement comme on le fait souvent en maternelle (l'école primaire aurait beaucoup à prendre de ce qui se fait en maternelle... C'est hélas souvent une contagion opposée qui s'installe !).
L'essentiel étant que les enfants puissent bouger, et qu'ils soient impliqués dans ce qu'ils font. Et si l'on craint que cela ne soit trop bruyant, il suffit de rendre les enfants responsables du niveau sonore de la classe : j'ai connu des classes où cela fonctionnait parfaitement.

* Enfin, notre expérience nous a appris que ces petits morceaux ne sont pas une bonne idée : en 20 minutes, impossible de faire travailler les enfants. Au contraire, quand ils sont impliqués, de façon solidaire, dans des activités qui les intéressent parce qu'ils savent à quoi elles servent, ils sont parfaitement capables de travailler plus d'une heure d'affilée.

Quant à la récréation telle qu'elle est conçue (ou plutôt telle qu'elle est laissée à elle-même) elle ne sert à rien de positif. Elle devient de plus en plus un lieu de défoulement, de plus en plus violent, surtout dans certains quartiers, face auquel il est vrai qu'on ne peut que sévir.
Rien que cette évidence devrait convaincre tout le monde de FAIRE AUTREMENT.
Autrement, qu'est-ce que ça peut vouloir dire ? Qu'elle devrait devenir un moment éducatif aussi, mais de façon ludique : un moment de jeux, encadrés, AVEC les enseignants qui JOUENT avec les enfants. Jouer, mais aussi danser, chanter, en n'oubliant pas de puiser les idées dans la vie d'aujourd'hui (et non dans celle d'avant-avant-hier !), dans ce que les enfants connaissent et aiment...

En fait, la récré, en tant que telle devrait disparaître au profit d'une organisation d'ensemble qui alterne les moments "dedans" et les moments "dehors", le travail de petits groupes et les échanges en grand groupe, le travail d'écriture et les régulations sur la manière dont les apprentissages sont vécus, les moments de rencontres et de travail commun avec d'autres classes, les moments de recherches documentaires, à la BCD et sur Internet... Bref, que la vie à l'école soit comme la vie hors de l'école, et qu'on sache à tout moment ce qu'on est en train de faire et pourquoi on le fait. Qu'on lise en classe ce qui se lit dans la vie ; que les outils soient ceux de la vie et non ceux d'une école qui lui tourne le dos (qu'on ne fasse pas taper des syllabes qui n'existent pas dans la langue française !) et que l'ordinateur soit utilisé en classe, exactement comme il est utilisé dans la vie, c'est-à-dire, qu'il serve à faire des recherches, écrire et mettre au propre, dessiner, calculer, éventuellement à jouer... Mais surtout pas à apprendre à lire (il ne permet alors qu'apprendre à lire l'ordinateur, et encore... !), ou à faire des exercices de grammaire ou de maths.

J'ajoute enfin que dès l'école primaire, il faudrait que les enfants puissent découvrir, dans leur vécu scolaire même, ce qu'est la démocratie, et les principes de la vie en commun : inutile de faire des leçons de morale, s'il existe des régulations fréquentes de la vie à l'école, si les enfants en sont partie prenante, si, très jeunes ils ont des responsabilités collectives, si au lieu d'être constamment surveillés, ils ont des "comptes à rendre" de leurs activités en autonomie, s'ils savent comment on anime une réunion, s'ils ont l'habitude de faire des rapports et des compte-rendus, bref, s'ils se sentent reconnus comme des personnes respectables et égales en droit aux adultes, même si leur statut est différent du leur: car les adultes y ont des fonctions et des statuts spécifiques et n'ont à être ni les patrons, ni les copains.

Je suis profondément convaincue que si, en équipes, les personnels des écoles primaires (enseignants et non enseignants) travaillent ensemble dans ces directions, ou au moins dans quelques-unes d'entre elles, la violence s'atténuera et finira par disparaître.
Chiche ?