Accepter de n'être pas parfait, et apprendre à échouer, quel programme de résistance aux injonctions officielles, qui font de l'erreur l'ennemi à abattre, en matière d'éducation !
Les programmes pour le primaire de 2008 répètent inlassablement, comme un refrain lancinant, la formule du résultat "sans erreurs", objectif unique du travail en classe.
Ce n'est pourtant pas d'aujourd'hui que l'importance de l'erreur en matière d'apprentissage a été soulignée et démontrée. Mais nos dirigeants, on le sait, n'ont pas de temps à perdre à lire ces fadaises de chercheurs... fadaises dont, pour la plupart, ils ignorent jusqu'à l'existence.
Innombrables pourtant sont les exemples et analyses qui prouvent la nécessité de s'être trompé pour mieux comprendre et retenir. Cela n'empêche pas que même si l'on est séduit par cette affirmation, voire convaincu de cette nécessité, ses implications sur la conception du travail en classe ne vont pas de soi si bien qu'il n'est pas évident de les mettre en pratique.
En fait, c'est toute une révolution des mentalités et des pratiques (de préférence, pas à 360° !), que ce principe entraîne.
Pourquoi l'erreur est-elle en général sanctionnée en classe ?
Pour deux raisons principales, qui ont pour effet de "culpabiliser" l'erreur (ce que prouve le terme de "faute" constamment employé à ce sujet) :

1- on donne aux élèves des exercices à faire, qui ne peuvent avoir qu'une seule solution, installant ainsi l'affreux système binaire : c'est bon ou c'est mauvais : si la solution trouvée n'est pas la bonne, c'est forcément une "faute", que l'on ne peut que punir.
Pour que l'erreur puisse être prise en compte, il faut que les élèves aient été confrontés à des "problèmes", dont les solutions peuvent être plurielles, et dont les critères d'acceptabilité résident dans leur caractère "rentable", par rapport à la situation problématique proposée.

2- ces exercices sont donnés aux élèves individuellement, si bien que la solution est de leur seule responsabilité. Or, surtout pour des enfants jeunes, la responsabilité individuelle de ce qui apparaît comme un échec personnel au regard des autres, est quasi impossible à supporter.
Pour qu'ils puissent apprendre à être personnellement responsables de ce qu'ils ont fait, il faut qu'ils aient pu partager d'abord cette responsabilité. C'est une des nombreuses raisons de la nécessité de faire travailler les enfants en groupes solidaires, y compris pour les tâches de "projets" : on sait bien, par exemple, qu'il est prudent d'éviter que la responsabilité de la nourriture des poissons rouges de la classe ne soit confiée à un seul enfant : si l'un de ces pensionnaires tombe malade, ce sera insupportable pour l'enfant.
C'est dans le groupe que l'on apprend à être soi, et à affronter seul les difficultés. On n'apprend rien seul, et surtout pas à fonctionner seul.

A ces conditions essentielles, il faut ajouter celles qui correspondent à l'ambiance de la classe.
Chaque fois que l'enseignant manifeste sa colère, ou même simplement sa déception, devant les erreurs d'un élève, il interdit toute prise en compte positive de cette erreur. Ce faisant, en effet, il ajoute à la déception personnelle de l'enfant qui n'a pas réussi, la culpabilité d'avoir fait de la peine au maître.
Et l'on retrouve ici une vieille erreur (pas positive, celle-là et affreusement coriace) des enseignants — erreur que nous avons tous commise et qui empoissonne notre métier — celle qui consiste à réagir affectivement aux résultats des élèves : manifester sa joie personnelle devant une réussite ou sa tristesse devant un échec.
Entendons-nous bien : il n'est nullement question de bannir toute expression des sentiments en classe. Ils sont indispensables, bien sûr, — même si l'on doit tout de même s'en méfier : on n'est pas toujours maître de ceux que nous inspirent les élèves, et les raisons pour lesquelles certains nous agacent, tandis que d'autres sont aimés davantage sont rarement claires — et encore plus rarement justes.
Ce qu'il faut comprendre ici, c'est que les sentiments de sympathie n'ont rien à voir avec les performances des élèves. Les élèves doivent se sentir appréciés de la même manière, qu'ils réussissent ou non. Quand il y a réussite, c'est toute la classe qui est satisfaite, et quand elle n'y est pas, ensemble, on analyse ce résultat pour s'en servir et pour progresser : et c'est tout aussi agréable !

Il faut aussi ajouter à ces conditions l'image que l'enseignant donne de sa relation à l'erreur. Comme le dit Tal Ben Sahar, il faut accepter de n'être pas parfait, y compris aux yeux des élèves : savoir reconnaître ses propres erreurs et savoir évoquer celles qu'on a commises étant élève (Ceci est tout aussi valable pour les parents !). Loin de risquer d'être dévalorisé à leurs yeux, on y grandit au contraire, et surtout, on se rapproche d'eux et on les rassure : ils commettaient des erreurs en classe et ils s'en sont sortis, c'est donc qu'il y a de l'espoir !!

Mettre tout cela en place n'a rien de très facile. Pas étonnant que l'échec scolaire soit si tenace : c'est là qu'il trouve son plus fécond terreau.
Le problème, c'est que la solution requiert des enseignants une formation importante qui ne se limite ni aux contenus d'enseignement, ni même à leur pédagogie : être enseignant demande un travail sur soi, qui ne peut que très difficilement se faire tout seul...

Vous voyez ce que ça veut dire ...?