En tant qu'enseignant, quand on accède au détail de cet outil, on ne peut que se sentir soulagé. Tout y est prévu dans les moindres détails, certes assez compliqués, mais l'assistance est parfaite. Il n'y a qu'à suivre les indications.
Sans doute lui faut-il, à cet enseignant, un goût réel pour la lecture, et notamment la lecture d'informations techniques informatiques...
Mais, quand on y regarde de près, en fait, il s'agit surtout de cliquer... sur des tas de boutons.
On y clique à tour de bras, les enfants aussi. Ça tombe bien : ils aiment ça, en général.
Et puis, ça ressemble comme deux gouttes d'eau aux jeux vidéo dont ils raffolent. Que demande le peuple ? Panem et circenses. Le "panem" peut se trouver facilement ailleurs et pour les "circenses", pas d'inquiétude, ils sont là — et bien là , comme dirait ma grand-mère.

Seuls les emmerdeurs dont je suis sont inquiets : ils voient mal où est la lecture là-dedans.
Toujours un tantinet pinailleurs, ils sont arrêtés par un manque de rigueur dans certaines formules. Par exemple, on signale que "l'élève avance dans l'histoire en suivant une progression définie avec une difficulté croissante".
Une difficulté croissante, c'est quoi ? "Difficulté", par rapport à quoi ? Et "croissante", dans quelle direction ? Mystère. Et puis, êtes-vous sûr que ce soit important ?
On y annonce ensuite un travail traitant cinq compétences en lecture :

1- Compréhension.
Personnellement, j'ignorais que ce fût une compétence. Pour moi, elle était jusque-là le résultat de la mise en œuvre de plusieurs compétences, dont les indicateurs étaient de l'ordre du repérage d'indices pertinents, donc du choix dans les différents détails à percevoir, de ceux qui jouent un rôle par opposition à ceux qui n'en jouent aucun sur ce point ; mais aussi de l'ordre du raisonnement, et de la mise en relation des indices perçus entre eux.
Dieu merci, l'enseignant est désormais délivré de tout ce fatras. La compétence "compréhension", est simple et se contrôle immédiatement par des boutons. Vous n'avez qu'à cliquer.

2- Viennent ensuite deux compétences apparemment distinctes, mais dont je vois mal comment les distinguer : "conscience grapho-phonologique" et "correspondance oral/écrit".
Surtout, et c'est une découverte nouvelle : j'apprends qu'une "conscience" peut être une compétence et, plus surprenant encore, une "correspondance" en serait également une. On avance de surprise en surprise.

3- Troisième compétence, toujours aussi étonnante, le vocabulaire. Quid, du vocabulaire ? On ne le dit pas. Le nombre de mots, sans doute... Mais la maîtrise de leur fonctionnement, sûrement pas. C'est, du reste, probablement sans intérêt.

4- La dernière de ces compétences n'est pas mal non plus : le fonctionnement de la langue, sans qu'on sache de quoi il retourne. Tiens ! Le vocabulaire n'en fait pas partie ? Ce n'est plus de la surprise, c'est de le perplexité.

Mais tout ça n'est que broutilles.
L'essentiel, c'est que les enfants arrivent à cliquer correctement.
Fines mouches, les auteurs à qui on ne la fait pas, annoncent — sans rire :
Il est possible que l'enfant mette du temps à découvrir où il doit cliquer. Et, bien sûr, ils ont la solution : les objets à ramasser se mettent alors à clignoter. Ben voyons ! Il suffisait d'y penser.
ici encore, on va observer, chez les pédagogistes toujours un peu demeurés, un étonnement de voir que pour apprendre à lire, il va falloir ramasser des "objets" là où on attendait bêtement des textes...
Voyons ! On est au vingt-et-unième siècle : ne soyez pas réactionnaires et conservateurs !
Quelques moments assez fabuleux dans cette aventure pédagogique d'un nouveau style.
Par exemple, l'enseignant est invité à "consulter le travail des classes et des groupes".
Naïvement, en lisant le mot "groupes", mon moral était remonté d'un coup...
Las ! ce fut de très courte durée : l'exemple de groupe qui est donné (car il faut leur donner un nom, bien sûr !) est "6ème 4, groupe faible".
Ah bon ! il s'agit évidemment de "groupes de niveaux"... Comment les détermine-t-on ? Question à ne pas poser : c'est évident.
Fallait-il aussi que je sois bête pour penser l'ombre d'une seconde qu'il pouvait s'agir d'un groupe de travail hétérogène, coopérant et mettant en commun des différences de nature à enrichir chacun des participants de ce groupe...
Incorrigible, en vérité !!

Soyons sérieux : on explique à l'enseignant que, pour consulter (avouez que le verbe est joli, quoique inattendu) le travail des groupes en question à il doit cliquer sur l'onglet "progrès". Vous ne vous attendiez pas à ce qu'il y ait un onglet "progrès"... Eh bien tout arrive !

Bien entendu, il n'est question que d'exercices. Finies, les stupides situations de lecture avec projet et tout ce saint frusquin des pédagogistes. Finis les textes et la réflexion sur eux. Finis, l'intelligence et l'esprit critique...
La lecture, savoir encombrant et dévastateur s'il en est, est bien partie pour disparaître. Ouf !

Pourtant, on est en droit d'être inquiet de voir que, au moment d'asseoir un solide comportement de lecteur de textes, qui ne craigne ni la diversité des types d'écrits ni leur quantité, (c'est l'objectif de tout approfondissement ou remise en place du savoir lire), on puisse avoir l'idée d'offrir aux enfants ces jeux infantiles ; au moment où l'on doit les aider à grandir, on les enferme dans leur enfance, et on leur apprend à cliquer.
Il est vrai que ça occupe !
Pendant ce temps-là, leur esprit n'ira pas chercher des noises à ceux qui se donnent tant de mal pour notre bien et le leur.
Cliquons, donc, mes frères : simples, et lumineux, les exercices se cliquent et se recliquent...

Léon, y'a l'téléfon qui son et y'a jamais person qui lui répond
Espérons seulement qu'il y aura quelqu'un pour répondre à tous ces clics par une bonne paire de claques...