Un correspondant nouveau, Alban, réagit à ce billet ainsi :

Cette réaction à la position de Chervel est, j'ai le regret de le dire, d'une grande faiblesse.

Une telle "intro" appellerait une réponse du même ordre, ce que je préfère éviter. Il est vrai qu'elle représente un point de vue très officiel et très admis, si bien qu'à côté, je fais l'effet du vilain petit canard. Mais mon point de vue n'étant pas n'importe quoi, et ayant de nombreux avantages pédagogiques, je pense de mon devoir de le défendre.

Je ne prendrai que trois points qui tenteront de le montrer :
1. Chervel ne milite pas du tout pour une réforme "phonétique" du français ni pour l'adoption d'une forme écrite s'approchant d'une variété de français oral, qu'elle soit parisienne, québécoise ou autre. C'est un argument fallacieux.

Je pense avoir été ici mal comprise (ou peut-être me suis-je mal exprimée). Toute prétendue "simplification" ne peut être conçue que dans le sens d'un rapprochement avec une prononciation "officielle", "standard", dont on sait aujourd'hui, qu'elle n'existe pas. La variation historique, géographique, sociale, de celle-ci est un fait scientifiquement incontesté, si bien qu'une "simplification" ne peut être une "facilitation", au contraire.
Rappelons au passage, que "simplification" ne signifie pas "facilitation", même si ces deux mots sont joyeusement confondus dans les textes ministériels.

Les simplifications qu'il propose concernent des régularisations (tel le -s du pluriel généralisé, réglant le problème des exceptions en -x) qui ne s'appuient pas sur l'oral. Il n'est pas honnête de présenter sa proposition de la sorte.

Laissons de côté les mises en cause de mon honnêteté, qui sortent des limites de ce débat, et rappelons que la notion d'exceptions ne peut avoir aucun sens en matière de langage, comme dans tout domaine scientifique. Une règle de fonctionnement (comment ça marche ?) n'a rien à voir avec une règle de prescription, laquelle, du reste ne peut avoir d'exceptions sans cesser d'être une règle : c'est là un point de logique élémentaire.
Il existe des cas différents, fonctionnant différemment, un point c'est tout. Et l'on ne voit pas du tout ce que pourraient être ces "régularisations" : régularisations de quoi, et par rapport à quoi ?
La diversité des manières de fonctionner des plantes est-elle un obstacle à la maîtrise de la botanique ?
Il est vrai que si l'on enseigne l'orthographe, non point en faisant découvrir le fonctionnement de celle-ci dans les textes lus, mais en enseignant de prétendues "règles", fausses ou incomplètes pour la plupart, comme les programmes 2008 nous y invitent, la maîtrise chez tous les enfants en sera difficile, voire impossible.
Aussi est-il préférable d'enseigner un orthographe "simplifiée" qui ne servira à personne, mais qui permettra aux enseignants d'avoir, selon un formule bien connue, des "résultats", lesquels justifieront leur rémunération au mérite, plutôt que de travailler à permettre à tous les enfants de maîtriser celle dont ils auront besoin dans la vie.

Si bien que cette prétendue "simplification" de l'orthographe devient — comme c'est bizarre... diraient Jouvet et Simon, dans "Drôle de Drame" — un précieux soutien à la politique gouvernementale : si l'orthographe est devenue aussi simple que la lecture syllabique, il n'est plus du tout nécessaire de former les enseignants !!! CQFD.

2. De la part d'une scientifique comme vous, il est choquant de lire cette affirmation :
Je n'ai décidément pas de chance et un nombre de défauts impressionnant... Mais j'assume courageusement...

"C'est parce que sa fonction [de l'orthographe] est précisément de ne surtout pas changer, si l'on veut permettre à tous d'accéder à tous les ouvrages du passé".
Je maintiens cette affirmation, qui rappelle la fonction différente de ces deux formes de la langue : l'oral qui est essentiellement un lieu de variation et d'évolution constante, ce qui lui confère un charme incontestable, mais qui restreint son champ de communication, et en face, l'écrit à la stabilité rassurante qui permet à tous de se comprendre par-delà l'espace et surtout le temps...

Tous les auteurs classiques sont lus aujourd'hui dans une version modernisée de l'orthographe.

Non pas tous, et encore moins dans l'avenir : on ne réimprimera pas la totalité de la BNF : vous le savez bien !!

Pour ne prendre qu'un exemple, en 1678, c'est ainsi qu'on imprimait cette fameuse fable de La Fontaine :
"Une Grenoüille vid un Bœuf
Qui luy sembla de belle taille.
Elle qui n'estoit pas grosse en tout comme un oeuf,
Envieuse s'étend, & s'enfle & se travaille[...]"


Merci : je connais ! Et je peux même vous en citer d'autres, si vous le voulez.

Craignez la morale de la fable !
La "chetive pecore" (qui ne portait aucun accent)
s'enfla si bien qu'elle creva !


Je pense préférable de faire l'idiote et de faire comme s'il n'y avait rien à comprendre dans cette mise en garde... C'est mieux, non ?

3. Des réformes de grande ampleur ont eu lieu par le passé en France
Si vous avez bien lu mon texte, j'ai déjà répondu à cette "objection": ce fut possible tant que le savoir lire n'était pas un savoir de masse, et ne concernait qu'un nombre relatif d'initiés fort intéressés par ces modifications. Lorsque la chose est devenue l'affaire de tout le monde, la situation n'a plus du tout été la même.

nos voisins européens de langue romane ont tous, à un degré ou à un autre, simplifié leur orthographe. Pourquoi écrit-on "farmacia" en Espagne, en Italie, sans que ça pose de problème ? Les Espagnols ont-ils pour autant perdu l'accès à Cervantes ?

Pourquoi faites-vous semblant d'oublier que les langues n'ont pas toutes fait les mêmes choix d'utilisation de leurs alphabets? La langue française, très tôt, — pour des raisons qui sont historiquement autres, mais qui ont eu ce résultat de fait, — est devenue une langue pour les yeux, et les marques orthographiques sont devenues, non point des traductions de l'oral, mais des balises de sens pour la compréhension. Et cela constitue un énorme atout en lecture... à condition, bien sûr, que l'apprentissage intègre cette donnée... Ce qui, malheureusement, ne sera pas encore le cas pour ceux qui obéiront aux ukases ministériels !

Demandons-nous par exemple pourquoi l'espagnol a le vent en poupe au moment où le français perd peu à peu son statut de langue internationale...

Ici, je pense que votre amour de cette belle langue vous fait prendre vos désirs pour des réalités : l'espagnol, comme la plupart des autres langues, nationales ou régionales, y compris le français, est en grand danger d'être bouffé par l'américain, comme vous savez, surtout si c'est l'anglais que l'on enseigne dès l'école primaire.
Là, ce n'est pas moi qui le dis, c'est Claude Hagège, qui sait de quoi il parle !!
Et l'on s'aperçoit alors que les vraies raisons du débat et ses enjeux dépassent — sans doute de beaucoup — les problèmes linguistiques... --