Reconnaissons-le : nous avons un Ministère de l'Education vraiment génial.
Le problème était de taille : puisque les IUFM n'existaient plus, il était devenu indispensable de concevoir alors un nouveau lieu de formation, et un nouveau concours permettant d'entrer dans ce nouveau lieu.
La solution proposée ici en haut lieu est de celles qui vous laissent sans voix, le souffle coupé d'admiration.
Allait-on réinventer les Ecoles Normales ? Créer une nouvelle race d'IUFM ?
Que nenni ! Inutile et dispendieux.
Une solution bien plus simple et autrement plus économique : il suffit de transformer le concours d'entrée en... concours de sortie !!
Comment n'y a-t-on pas songé plus tôt ?
Sorte de mixture mêlant à la fois l'antique CFEN (Certificat de Fin d'Etudes Normales), et la "leçon" de l'oral de l'agrégation, le nouveau CRPE a pour objectif de certifier que les candidats savent faire la classe, et qu'ils ont toutes les connaissances requises pour cela.
Quelques esprits chagrins vont sans doute se demander où les candidats auront acquis ces savoirs.
Ce n'est pas le problème du Ministère.
Du reste, il est prévu un "master professionalisant" avant le concours. Un "master professionnalisant", on peut imaginer à la rigueur ce que ça pourra être pour les professeurs de collège et lycée, mais pour les professeurs des écoles, la chose est loin d'être claire, quasiment impossible pour un certain nombre de raisons.
Mais dans le paradis du libéralisme, on sait que la clé, c'est la débrouille... et le bonheur des instituts privés. C'est comme cela que l'on sauve le service public d'enseignement.

Entrons dans le détail de ce bijou d'astuce politico-pédagogique..
Comme pour les programmes, on observe un souci évident de simplification. Il n'y aura plus que quatre épreuves, deux écrites et deux orales.
Mais comme il faut bien que l'éventail des disciplines présentes à l'école primaire puisse s'y trouver, ces deux épreuves auront la particularité de pouvoir couvrir, de façon aléatoire, un champ plus large que celui de la discipline annoncée. Ainsi l'épreuve de "français" devient une épreuve de "culture humaniste", et l'épreuve de mathématiques, une épreuve de "culture scientifique et technologique".
Les plus optimistes d'entre nous (ou les plus naïfs, c'est selon !) seraient tentés de voir là quelque chose d'intéressant, une forme de transversalité, tout à fait en cohérence avec le métier de professeur des écoles.
Que nenni, là encore ! Vous n'y êtes pas du tout.
Cela veut dire simplement que les deux épreuves pourront porter sur des thèmes divers, appartenant à des disciplines différentes, comme on peut le voir ici pour le français :

A partir d'un texte de deux à cinq pages ou d'un dossier ne dépassant pas dix pages, portant sur un thème de littérature, d'histoire, de géographie, d'histoire des arts ou d'éducation civique et morale, le candidat :
* présente dans une composition son analyse du texte ou fait une note de synthèse du dossier ;
* traite de question dans les domaines de la grammaire, de l'orthographe et du lexique, en relation avec le texte ou le dossier ;
* peut répondre à une question portant sur l'épistémologie ou l'histoire d'une des disciplines concernées. (Durée: 4 heures ; coefficient 2)


C'est dire que le "traitement" reste parfaitement enfermé dans une discipline donnée.
Mais surtout, c'est le style qui frappe : un texte où tout est à souligner, voire savourer, un vrai morceau d'anthologie. Vocabulaire étonnant, précisions bizarres (on retrouve la même obsession de la quantité que dans les programmes !), formules alambiquées, accompagnées de contradictions, d'incohérences au moins et surtout du flou... :
Le candidat aura à faire, au choix, "son" analyse du texte ou une note de synthèse du dossier...
On notera que ce n'est pas du tout la même chose, et surtout, que les compétences révélées par ces deux activités ne sont pas les mêmes... Alors quel est le vrai but de l'épreuve, et en quoi, permettra-t-il de certifier les compétences des candidats ?

Il doit le faire dans une "composition" :
C'est quoi, une "composition" ? S'agit-il de la "composition française", chère à nos ancêtres ?

Il traite de questions dans les domaines de la grammaire etc..
Formulation pour le moins étrange, en vérité...

Peut avoir à répondre à une question...
Que vient faire le verbe "pouvoir" ici ? Pourquoi ? Ce n'est pas sûr ? Pas très rassurant, ce programme...!


Mais le sommet est atteint, je crois, avec "l'épreuve orale prenant la forme d'un exercice pédagogique".
Le tarabiscotage de la formulation est en adéquation avec le flou, l'incohérence et l'artificiel de l'épreuve telle qu'elle est décrite :

Le programme de cette épreuve est le programme de l'école primaire. Elle consiste en une leçon qui sera replacée dans sa progression disciplinaire et dans le déroulement d'une journée de classe dont le candidat précisera l'organisation. Le sujet de la leçon, qui est tiré au sort par le candidat est extrait du programme d'une des disciplines enseignées à l'école primaire et précise le niveau de classe concerné. l'exposé suivi d'un entretien avec le jury doit faire apparaître les connaissances et la culture du candidat, dans le domaine disciplinaire de la leçon, sa capacité à concevoir et organiser un enseignement dans une classe de l'école maternelle ou élémentaire et à expliquer et à justifier ses choix pédagogiques et didactiques. ( préparation : 3 heures ; exposé et entretien avec le jury : 1 heure. Coefficient 3)

Avec un sujet de la "leçon" (bonjour la pédagogie du projet !) tiré au sort — espérons au moins que les candidats auront le droit, comme à l'agrégation, de demander de la documentation ! —, et celle-ci présentée sous forme d'exposé devant un jury, il est difficile d'imaginer plus artificiel, plus caricatural, plus impuissant à révéler des compétences d'enseignement...
On a pu dire que former des enseignants, c'est les rendre capables de trois savoirs fondamentaux dans le métier:
1) savoir théoriser une pratique : savoir quelles sont les théories sous-jacentes à cette pratique concernant les trois domaines concernés : l'enfant, l'apprentissage et les contenus à enseigner ;
2) savoir opérationnaliser une théorie : savoir transformer des données théoriques en pratiques concrètes de classe ;
3- savoir se connaître : connaître ses ressources et ses limites, et savoir se servir des unes et des autres.

Il va donc de soi qu'un concours de recrutement digne de ce nom se doit de proposer des épreuves permettant de repérer ces maîtrises : doit-on rappeler ce qu'est la nécessaire sagesse éducative et psychologique pour exercer un métier aussi difficile ? Un métier qui n’est pas à la portée de quiconque sait faire une «composition». Ce qui appelle un recrutement autant psychologique que scolaire.
Rien de tout cela.
Non seulement, l'Etat n'assume plus la charge d'aider les futurs enseignants à acquérir les compétences nécessaires à leur métier, mais, sous couleurs — très politiques — de retrouver le charme des pratiques d'antan, il brade les moyens de vérifier leur présence chez les candidats.
Ni formation ni évaluation.
Ce n'est pas sérieux.
C'est criminel.
Mais au moins, les choses sont claires...