Dans ce CM1, qui venait de faire une visite dans les grottes de la région, l'enseignant avait demandé, comme sujet de rédaction, de faire un compte-rendu de leur visite.
Voici la copie d'un des élèves, que nous appellerons Jérôme.

Dont voici une traduction un peu plus lisible :

Les rivières soutérène son profondent de 1 a 2 mètre leur tanpérature son 9 a 10 degrés. Dans les grote l’eau creuse des trou dans la muraille des fois les chove souris y font leur nid. Dans l’eau il y a pas de poisson sauf quelque truite a la sorti de la grote. A l’interieur il y a des stalactite qui grandisse d’un santimettre en un siècle.

Il est possible que cette performance paraisse, aux yeux de pas mal de collègues, comme un sommet en matière de stupidité et d'ignorance.
Elle n'est pourtant pas dépourvue de certaines qualités, et même de compétences certaines : de toute évidence, Jérôme a été intéressé par la visite ; il en a retenu beaucoup de choses et fort précises. Il y a en lui de l'intérêt pour les sciences et pour la technique. Il a même une réelle intuition du "ton" que doit avoir un compte-rendu, écrit de type administratif le plus souvent et qui se caractérise en général par l'absence des marques d'énonciation : ni Je, ni Nous, (ce que les spécialistes appellent les "formes embrayées d'énonciation")
L'orthographe, certes, n'est pas vraiment maîtrisée... Surtout, c'est loin d'être le seul point faible de sa production !
Il est clair que cet élève n'a aucune idée de ce que peut être un compte-rendu : présentation et mise en page sont parfaitement ignorés, ainsi que la ponctuation. Ne parlons pas de la nécessaire hiérarchisation et organisation des informations : tout se passe comme si Jérôme reproduisait telles quelles les notes qu'il a pu prendre lors de la visite.
La cause de cette ignorance ?
Tout simplement, le fait qu'il est entré dans l'écrit par des pages de manuels où rien de ce que j'évoque n'était présent. Il n'en faut pas plus : ce qui n'était pas là au début n'a quasiment aucune chance d'être intégré ensuite.
J'entends d'ici l'objection incontournable : "mais, certains élèves, qui ont appris de la même façon, n'ont pas ces ignorances..." Normal ! Ces élèves ont pu découvrir chez eux comment fonctionnent les textes... Pas Jérôme, qui n'avait que l'école pour découvrir le monde de l'écrit.
Pour lui, comme pour la majorité de ses camarades, il lui aurait fallu entrer dans l'écrit à travers les écrits sociaux véritables qui lui auraient permis de découvrir qu'apprendre à lire, c'est d'abord apprendre, en même temps que les mots (et sans doute avant d'essayer de reconnaître les lettres ou les syllabes) à interpréter des mises en page, des signes de ponctuation, des types de caractères, des couleurs, etc. et apprendre à les utiliser comme moyens de comprendre et comme moyens de se faire comprendre quand on écrit.
Piaget expliquait fort clairement jadis qu'un enfant ne peut apprendre que des choses dont il a depuis longtemps l'expérience.


Il est clair aussi que son interprétation de l'orthographe, pour le moins imparfaite, vient, non point d'une bêtise congénitale qui l'empêcherait de comprendre ce que l'enseignant a fort bien expliqué, mais tout simplement du fait que cela lui a été expliqué, sans qu'il l'ait demandé, et surtout sans qu'il ait pu le découvrir lui-même. On voit bien dans sa manière d'écrire qu'il a appris des règles d'orthographe, mais qu'elles ne sont pas absolument pas comprises de lui : la distribution des "s" et des "ent" de pluriel est pour lui parfaitement aléatoire : les règles se sont ajoutées dans sa tête, se sont empilées, sans jamais s'installer en relation les unes avec les autres. D'où impossibilité de les utiliser, et abandon rapide...
Si nous disons que l'apprentissage doit se faire à partir d'un travail de construction personnelle, ce n'est pas sans raison...!!
C'est que c'est le seul moyen, pour tous les enfants, et notamment pour ceux qui n'ont que l'école pour s'en sortir, "d'imprimer", comme on dit aujourd'hui, les savoirs nécessaires à leur insertion sociale.

Que faudrait-il faire alors pour Jérôme (et ses camarades) aujourd'hui ?

Première question : faut-il noter cette performance ?
Evidemment non : quand il y a tant de défauts, cela veut dire qu'on n'est pas en train d'évaluer... Ou bien alors, c'est à désespérer du travail de l'enseignant !!
On ne note qu'après avoir travaillé à apprendre et uniquement ce sur quoi on a travaillé.
Dans une classe comme celles avec lesquelles j'ai travaillé, une telle "réussite" n'est possible qu'en début d'année, au moment de l'évaluation formative de départ, destinée à organiser le travail à effectuer dans l'année.

Deuxième question : sur quoi et comment travailler, à partir de là ?
Il va de soi qu'il convient de travailler de façon concomitante :
* les types d'écrits et leur organisation discursive et grammaticale ;
* l'orthographe.

1- pour le travail de grammaire des textes et des phrases qui les constituent, je pense que plusieurs séances seraient nécessaires autour des types d'écrits qui ne se ressemblent qu'en apparence : les récits (toujours soumis aux règles de cohérence textuelle), les chroniques (qui n'y sont pas soumises), les comptes-rendus, les rapports (nourris d'enquêtes et débouchant sur des propositons), les reportages. Travail d'abord de lecture, et d'observations comparées de leur fonctionnement, d'où les enfants dégageront et formuleront des caractéristiques, des "traits distinctifs" avec les types de situations auxquels ils correspondent.
Puis ces savoirs seront réinvestis dans des productions où les enfants vont pouvoir s'amuser (mais oui !) à rédiger (toujours en groupes) à partir d'un même événement (la visite dans les grottes, par exemple) :
* un récit humoristique destiné au journal de l'école ;
*un compte-rendu destiné à l'IEN ;
* une lettre destinée au camarade qui n'a pu venir parce qu'il était malade ce jour-là ;
* un reportage, agrémenté de photos, avec légendes, destiné à être présenté aux parents lors d'une exposition à l'école ;
* une brochure d'information scientifique sur ce que l'on a appris lors de la visite, brochure destinée aux classes avec lesquelles on correspond, ou aux autres classes de l'école. etc.

2- Quant à l'orthographe, la première chose à faire, c'est de travailler à faire découvrir à quoi elle sert.
Pour cela des jeux de mots, des devinettes, des titres pleins d'humour trouvés dans la Presse et dans la publicité... Vous voulez des exemples?
* une devinette : Que font les journalistes quand les journaux ne paraissent pas ?
Réponse : Eux ? Il paressent !. (il faudra ensuite "bémoliser" cette affirmation qui pourrait vexer un parent journaliste !!)
* une définition de mots croisés : "Tragédie de racine", en 5 lettres...
Réponse : "carie". Ce qui va être une excellente occasion de faire découvrir l'importance de la majuscule dans la compréhension... !
* des titres de journaux (il y en a tous les jours : enseigner l'orthographe est devenu vraiment très agréable !!) :
Apprend-on que l'équipe bordelaise de basket a été vaincue par celle de Sceaux ? Le journal titre : Le grand Sceaux.
En athlétisme, les relayeurs français sont champions du monde du 4fois 100 m ? On trouve le titre suivant : Les 4 sans maîtres !
* En route pour les vacances, on peut s'arrêter sur l'aire du chant du coucou... Vous avez vu comme un petit "e" peut tout changer !
Vous voyez bien qu'il est possible de s'amuser, avec l'orthographe !

Ensuite, on va, par des observations de textes déjà lus, faire des quantités de remarques :
* que les lettres en français ne servent pas qu'à traduire la prononciation,
* qu'elles servent aussi d'indices de sens,
* et que celles qui ne correspondent à aucun élément sonore, sont souvent les plus importantes à retenir.
Vont être ainsi découverts par les enfants les deux grands rôles qu'ont, en français les marques orthographiques :
* un rôle qui permet de repérer que des mots, qui ont la même prononciation, n'ont pas le même sens : des pois /des poids. C'est le rôle lexical de l'orthographe.
* un rôle qui permet de comprendre quels mots vont avec quels autres mots dans les phrases. C'est le rôle grammatical de l'orthographe.
On va alors pouvoir s'entraîner à justifier, dans les textes, l'orthographe des mots rencontrés : pourquoi, celui-ci a un "s" à la fin et celui-là, "ent"... etc. Tout cela, de façon ludique, comme on explore un territoire inconnu et attachant...

Parallèlement, on va travailler à apprendre à se servir du dictionnaire (il faut devenir capable de trouver en 20 secondes ce qu'on cherche : si on met davantage de temps, on ne cherche plus !!)
Et, bien sûr, on ne va pas perdre de temps à faire des dictées : on va plutôt jouer à apprendre comment fonctionne l'orthographe. On évaluera ce qu'on sait après. L'important, c'est d'apprendre et de travailler.
Et quand on pense que c'est le moment d'évaluer, on le fait de façon intelligente, positive, et surtout pas avec une dictée qui n'évalue pas plus qu'elle n'enseigne...

Mais il faudra bien d'autres billets avant que les collègues, les parents et l'opinion publique en soient convaincus... Alors, écrivons-en vite !