Madame,
Voilà un texte superbe.
J'ai lu tant de vilaines choses sur la dictée ces derniers temps, que pour soigner ma morosité, j'ai écrit ce petit éloge :
Je me revois, le cœur battant à l'annonce de l'exercice dont le nom est lui-même une exception aux règles d'orthographe, me lançant des défis, prenant toutes les bonnes résolutions possibles.
Point d'angoisse devant la page blanche, ici, mais une concentration féroce, l'oreille aiguisée, à l'affût, afin de ne pas laisser passer un mot, une virgule.
Un léger trac, si agréable en réalité, pimentant la matinée de classe.
Le plaisir d'être un peu passif, de ne pas avoir à être original, pour une fois.
Un danger confortable, en somme, un danger bien encadré par le rite ; oui, ce rite immuable qui rassure l'élève.
Je sais ce que l'on attend de moi, cela ne varie pas, tout est si clair que c'est comme un cocon qui m'enveloppe : c'est cela la dictée, un risque drapé dans une couverture.
Et la voix s'élève, nous lisant d'abord le texte entier, faisant retentir ces mots choisis, ces phrases parfois alambiquées, qui s'étirent paresseusement.
Les textes des dictées sont toujours des morceaux exceptionnels, retenus par le maître pour leur beauté. A chaque fois, l'émotion littéraire est au rendez-vous : oui, ce sont les dictées qui m'ont fait aimer la littérature, ce sont elles qui ont provoqué mes premiers éblouissements pour des auteurs dont je ne découvrais le nom qu'à la fin, comme un cadeau.
À nouveau un peu de trac, car voici que la dictée commence. Voici le moment où le stylo ne doit pas trahir les mots, où la main et l'esprit doivent s'accorder précisément, sans hésitation. C'est comme lorsque l'on trace une figure : on retient son souffle, on tire un peu la langue, on plisse un peu les yeux.
Mais le plus fascinant, c'est de pénétrer les arcanes du texte ; on se prend, l'espace d'un instant, pour l'écrivain. On palpe la chair des mots, on les regarde à la loupe, leurs particularités suscitent des questions sans fin. On n'est plus très sûr, on verra tout à l'heure. On prend soudain conscience de l'identité de chaque mot, de sa singularité familière. On tente de se souvenir des astuces du maître («Je m'aperçois qu'il n'y a qu'un –p- à "apercevoir" ») ! Mais vite, il ne faut pas perdre le fil, et la main, docile, suit l'oreille.

La relecture du texte est une pause que l'on goûte après la tension extrême que l'on vient de vivre. Le texte, à nouveau, chante son unité poétique. Tout s'enchaîne avec bonheur, et l'on a la satisfaction perfectionniste de rajouter là, un accent, là, une virgule. Une trêve avant les affres de la dernière vérification: le doute me prend, il me semble que je ne sais plus rien.
Au brouillon, je griffonne le mot litigieux en écriture automatique, espérant secrètement que la main se souviendra de ce que mon esprit a oublié. Mais est-ce bien sûr ? Et si le mot s'écrivait autrement ? Toutes les ressources personnelles sont mobilisées: la vue, l'ouïe, l'écriture, la mémoire, la logique… rien n'est négligé, et cela procure autant de plaisir qu'un jeu. Les mots se souviennent qu'ils appartiennent à des familles, les règles de grammaire flamboient dans mon esprit comme pour me prouver que je ne les ai pas apprises en vain.
Ça y est ! Ma dictée est, à n'en pas douter, la meilleure que j'aie produite de l'année. Et si, à la correction, mes erreurs me sautent encore aux yeux, c'est juré, la prochaine fois, je relèverai à nouveau le défi, je ne tomberai dans aucune chausse-trape, et le résultat sera ma meilleure dictée de l'année !
J'aimerais avoir votre opinion.
Avec mes salutations, Louise, institutrice retraitée