Voici le texte que m'envoie Lulu :
Bonjour, j'ai trouvé ce site par hasard, je le trouve super et je viens de lire pendant plus de 2 heures des choses très intéressantes (mais aussi "inquiétantes") sur l'école et l'apprentissage de l'écriture et de la lecture.
J'ai 3 enfants, la plus grande a presque 4 ans et est en moyenne section, les 2 autres sont des jumeaux de 2 ans.
En maternelle, elle apprend à reconnaître son prénom, les jours de la semaine et les mois de l'année sur des étiquettes, elle n'a encore appris aucune lettre de l'alphabet à part son initiale. C'est sans doute normal car elle est encore petite, mais après tout ce que je viens de lire sur la "méthode globale", ça me fait un peu peur...!
Je ne veux pas en faire un "petit génie" ni l'embêter avec des apprentissages qui ne seraient pas de son âge, mais elle aime bien que je lui montre les lettres et que j'épelle des mots. Que pouvez-vous me conseiller comme activité pour son âge ?
A partir de quelle classe (ou quel âge) puis-je lui montrer des livres comme Léo et Léa ?
Merci par avance de vos réponses, de la part d'une maman qui préfère "prévenir que guérir"
.

La première chose que je peux répondre à Lulu, c'est de se reporter à la page de mon site où l'on peut trouver une réponse assez détaillée à la question posée.
http://www.charmeux.fr/parents.html

Je tiens aussi à lui dire que ce qui se passe à l'école maternelle de sa petite, me semble excellent et que ça n'a rien à voir avec la "méthode globale" (laquelle est loin de présenter les dangers qu'on lui prête !!...) Sur ce point aussi, les pages du site peuvent apporter des précisions.
Je me contenterai ici seulement de rappeler quelques données essentielles sur la manière d'aider un petit enfant à entrer dans la lecture.
1- Bien avant d'apprendre les lettres (qui ne doivent jamais être apprises en premier : très dangereux!), il faut que les petits aient compris ce qu'est le monde de la lecture et qu'il s'agit avant tout d'une autre façon de vivre et de communiquer.
Pour qu'ils puissent apprendre à lire, il faut qu'ils soient familiarisés avec l'univers des livres, des journaux, des catalogues, des affiches et des enseignes dans la rue, etc. etc. Qu'ils les touchent, les manipulent et se les approprient avec leur corps et leurs sens.

2- Ensuite, il faut savoir que pour un tout petit, il n'est pas évident du tout qu'un écrit soit du langage et qu'il, y ait quelque chose à comprendre là-dedans. C'est pourquoi, la première chose à faire, c'est de l'aider à faire cette découverte et à la conforter, s'il l'a déjà pressentie. Pour cela, on ne perd pas une occasion de souligner qu'un "objet à lire" a toujours été écrit par quelqu'un pour dire quelque chose à quelqu'un d'autre.

3- C'est par l'utilité de la chose écrite, en même temps que les plaisirs qu'elle procure, que l'on peut motiver l'apprentissage de la lecture : faire apparaître à toute occasion pourquoi on lit, et à quoi ça sert: il est très important, par exemple que la maman se serve devant les enfants de son livre de cuisine quand elle prépare un plat, — même si elle connaît la recette par cœur ! —, ou que les parents compulsent ensemble le journal de Télé pour décider de l'émission à regarder le soir, ou un guide touristique pour organiser les vacances, ou toute autre documentation... L'objectif ici, c'est de faire découvrir que lire est un moyen d'abord de trouver des réponses à toutes les questions que l'on se pose, et que c'est pour cela que c'est un savoir qui rend libre.

Il faut aussi que les petits voient leurs parents lire.
Eduquer, c'est toujours montrer l'exemple. Des enfants qui ne voient jamais leurs parents lire auront davantage de mal à comprendre l'intérêt de cet apprentissage.
Il faut enfin qu'ils aient découvert, grâce aux lectures des adultes, aux récits de contes et de légendes, aux poèmes, là tous les beaux textes, que lire est une envolée vers l'imaginaire et le plaisir du rêve.

Et puis rien n'empêche, surtout si l'enfant le demande, de lui montrer que ces mots de rêve sont composés de lettres, dont on peut donner les noms au gré des rencontres. Mais ceci est loin d'être l'essentiel.
Ce qui l'est davantage, c'est qu'ils aient l'occasion de découvrir que l'important dans les mots , c'est l'ordre dans lequel les lettres apparaissent : si on change l'ordre des lettres, c'est tout le mot qui change : le lion est loin. Pour un tout petit, les mots "lion" et "loin", sont semblables, puisqu'ils ont les mêmes lettres : ils ne savent pas que l'ordre est à ce point déterminant, car il ne l'est pas dans le monde des objets, qui est le leur.
C'est parce qu'on ne permet pas toujours aux enfants de travailler de façon approfondie là-dessus, que des dyslexies se déclarent !!

Comme on le voit, aucun besoin de manuel à la maison ! Il va de soi qu'une maman (même si elle est instit... à plus forte raison si elle ne l'est pas !) n'a pas à apporter à ses enfants ces choses si discutables si tristement scolaires, que sont les manuels de lecture et qui font courir le risque de déformer complètement l'image qu'un enfant peut avoir de la lecture et des livres. Un manuel de lecture n'est pas un livre, puisqu'il ne peut servir à rien !
(On peut trouver une analyse du manuel Léo et Léa, à l'adresse suivante : http://www.charmeux.fr/methodesyllabique.html...)

La tâche des parents, ne l'oublions jamais, c'est d'être d'abord et avant tout, ceux qui rassurent, qui donnent confiance, qui jouent, qui racontent, qui aiment... Et qui ne font surtout jamais la classe à la maison !!

Et voici ce que Julos ajoute :

Chère Lulu, pas de panique !
J'ai une douzaine d'années de pratique en CP et CE1, ainsi qu'une vingtaine en maternelle (PS/MS/GS); c'est à ce titre que je me permets de tenter de vous répondre ; je me suis passionné longtemps pour ces questions d'apprentissage de l'écrit et je suis toujours très triste de voir à quel point parents et enseignants ignorent encore tout des réalités de la pédagogie de l'écrit. Et ce, malgré les efforts et l'énergie considérable déployés depuis plus de trente ans par des passeurs et passeuses, tels que notre amie Eveline et tant d'autres.
Vous vous inquiétez parce que votre enfant manipule des mots entiers écrits sur des étiquettes ; et vous vous dites "Mon Dieu ! c'est la globale !" Alors je vous propose une petite expérience qui devrait vous rassurer. A faire à la maison. Supposons que votre enfant se prénomme Alice. Ecrivez 5 prénoms, dont Alice, sur des étiquettes, en prenant soin de choisir des graphies assez proches, par exemple "Aline, Alain, Alice, Albert et Amélie". Demandez à ... Alice de montrer son prénom et demandez-lui surtout, quelle que soit sa réponse, juste ou fausse, pourquoi elle pense que ... à quoi elle a reconnu... Même si elle ne connait pas le nom de toutes les lettres, il y a de fortes chances pour qu'elle vous fasse des réponses du type " Parce qu'il y a le A" mais aussi "il y a un bâton là" ou encore " y a un petit point sur le petit bâton". Bref, autant de réponses qui indiquent que sa perception du mot et l'activité d'identification n'a rien de "global", puisqu'à chaque fois c'est un "détail", un indice ponctuel qui sert la justification. Autrement dit, parler de reconnaissance globale" est parfaitement impropre à ce stade de l'apprentissage. Emilia Ferreiro parle de stade "logographique". Le mot est appréhendé globalement, comme un logo ou un dessin mais la majorité des enfants de 4/5 ans ne s'en sortent pas en photographiant la totalité du mot comme on le lit souvent dans la presse, ils choisissent un indice qui leur parait pertinent, qui leur "saute aux yeux", pourrait-on dire et y associent une signification. Dans l'exemple ci-dessus (qu'il convient d'adapter à votre cas bien sûr)il est possible que votre enfant se trompe à plusieurs reprises s'il a choisi l'initiale "A" comme indice ! Ce qui va faire qu'il se trompera de moins en moins, puis plus du tout, c'est qu'il va changer d'indice et finir par se stabiliser sur les bons : si elle décide (et mémorise) que son prénom est ce mot qui possède un "A" mais surtout un "i" et un "c" collés, alors elle ne se trompera plus (du moins avec cette série de mots !) Vous voyez bien qu'il n'y a pas grand chose que l'on peut qualifier de "global" dans toute cette démarche, au demeurant très intelligente, faite par les enfants entre 3 et 6 ans !
Paradoxalement, c'est lorsque nous savons lire, lorsque le mécanisme d'identification des mots est automatisé, lorsque nous ne déchiffrons pas, même devant un mot inconnu, que l'on peut parler de reconnaissance globalisée. Parce que notre cerveau est capable de reconstituer très vite et très sûrement une image à la fois auditive et visuelle des mots perçus tout en y associant une signification ... et bien plus encore, puisqu'il peut même lire dans un texte des mots absents (voir les exercices à trous).
J'espère avoir été convaincant, et donc rassurant.
Bien à vous. Julos