Rappelons pour la nième fois que c'est le pourcentage de personnes illettrées (plus de 50% de la population française adulte, dans les années 60) qui a provoqué le premier scandale à ce sujet et la naissance de la recherche pédagogique.
Voir : http://www.charmeux.fr/pedagocrates.html

Or, à cette époque, mises à part les deux ou trois écoles Freinet de France, tout le monde, absolument tout le monde, avait appris avec une méthode de type B.A.BA.
De fait, les travaux qui ont été menés alors ont permis de mettre en évidence la responsabilité écrasante de la méthode d'enseignement — ou plutôt de ses contenus — et d'établir clairement qu'un enseignement qui commence par le déchiffrage pour continuer par la compréhension (surtut quand, en plus, aucune précision n'est donnée sur ce qu'il convient d'entendre par le mot : "compréhension") fabrique de l'illettrisme à tour de bras.

Explications.
1- Commencer par le déchiffrage est une erreur multiple :
* Les analyses sérieuses de l'acte de lire démontrent que le déchiffrage n'appartient pas à la lecture, étant contraire au fonctionnement de l'œil, et de la perception visuelle..
* l'efficacité de lecture dépendant de la taille de l'empan visuel, habituer l'enfant à lire linéairement, lettre par lettre, ne peut qu'handicaper gravement la maîtrise du savoir lire ;
* le déchiffrage est quasi impossible dans une langue comme le français où les lettres les plus importantes sont celles qui ne correspondent à aucune prononciation ;
* de ce fait, donner l'habitude de passer par l'oral pour comprendre ne peut que mettre en difficulté le futur lecteur, qui doit au contraire apprendre à comprendre directement avec les yeux, d'autant plus que le texte écrit ne ressemble généralement pas à ce qui se dirait à l'oral, pour dire la même chose .
* Il est cependant essentiel que les enfants aient construit le système arbitraire de correspondances phonies-graphies du français, qui est indispensable à l'autonomie de lecture, mais surtout pas au début de leur apprentissage, car des notions capitales doivent être construites auparavant (voir plus bas).

2- Passer ensuite à la compréhension, est une absurdité, puisque lire, c'est comprendre et donc que "apprendre à lire", c'est apprendre à comprendre : c'est donc tout de suite qu'il importe de travailler là-dessus.
Or, on connaît les obstacles (dits "épistémologiques") qu'oppose cet objectif aux représentations spontanées des petits.
* Pour apprendre à comprendre, encore faut-il savoir qu'il y a quelque chopse à comprendre dans un texte écrit. Et c'est justement ce qu'un petit ne sait pas : pour lui, la chose écrite appartient à l'environnement, au même titre que n'importe quel objet et sa spécificité par rapport à eux lui est parfaitement étrangère, s'il ne vit pas dans un milieu où l'écrit est présent et vivant.
* d'autre part, comprendre, ce n'est pas répondre aux questions de l'enseignant sur le sens des mots. Comprendre un texte, c'est avoir reconstruit le réseau de communication qui l'a produit ; qui a écrit, pour qui, pourquoi et pour quoi faire.
C'est là la première chose à faire découvrir à un enfant. Et ce n'est possible que si on lit des messages réels, écrits par quelqu'un de précis, pour des destinataires repérables, avec des enjeux perceptibles. Ce qui n'est jamais le cas d'une méthode toute faite, où tout est faux.
* des notions essentielles à la construction de la combinatoire (on nomme ainsi le système de correspondances grapho-phonétiques, ce que d'autres appellent : "le code", nom bien mal choisi) doivent être construites pour qu'elle soit comprise :
- la notion d'arbitraire du signe linguistique (= le fait que les mots ne ressemblent pas à ce qu'ils veulent dire et que le lien entre le signifiant et le signifié est arbitraire) ;
- celle de "double articulation du langage" (= le fait que les mots qui signifient sont composés de lettres qui ne signifient pas et qui ont besoin pour produire du sens, d'être dans un certain nombre et dans un certain ordre.
Or, on sait que, pour un tout petit, l'ordre des lettres ne peut pas avoir plus d'importance que l'ordre des objets du monde environnant, dont ni la nature, ni l'utilisation ne changent quand l'ordre dans lequel on les voit a changé.
Ce qui, au passage, permet de formuler l'hypothèse que la dyslexie n'est autre que la conséquence d'un absence de travail sur ce point, et que c'est un trouble provoqué, chez des enfants plus fragiles, notamment socialement, par un BA. BA précoce et catastrophique.

Si tout cela manque dans une pratique d'enseignement (et je suis loin d'en avoir épuisé la liste !
(Voir pour plus d'informations : http://www.charmeux.fr/obstaclesepist.html), il ne faut pas s'étonner si, au collège, ils ne comprennent rien à un énoncé de problème, et si, plus tard, ils doivent venir à la bibliothèque de leur village pour se faire lire leur courrier...
C'est ce qui se passe dans le village où j'habite et où j'assure une permanence à la bibliothèque municipale : les personnes qui viennent pour cela ont appris à lire à l'école avec une méthode en B.A.BA...
Etonnant, non ? comme dirait le grand Desproges.