Astro a écrit :

Ce que vous dites est vrai dans la mesure où ce que les adultes appellent "échec" n'a pas en réalité causé un écart trop important pour créer des groupes cohérents. Dans votre texte, la conception du travail de groupe est un travail où on s'enrichit en cherchant ensemble et non en imitant la verticalité. Ceci est plus que recevable. Mais ça implique aussi que chacun puisse apporter quelque chose à la démarche collective. Or si l'écart est trop grand, ceux qui "suivent" vont (même inconsciemment) éclipser le camarade largué qui n'est alors plus un coéquipier mais un "boulet". Et on aura beau leur faire la morale, celui qui ne peut plus donner dans un tel système ne reçoit plus non plus !

Cette notion d'écart est extrêmement importante et l'on peut y voir une des raisons du refus, si répandu chez les collègues, de cette forme de travail.
Comme me le dit un ami au sujet de votre commentaire : "si l'on pense la transmission des savoirs à travers l'idéologie du mérite et du niveau homogène, cela crée un obstacle technique, une impasse méthodologique, mais dont on est convaincu d'abord qu'elle ne vous incombe pas et qu'elle rend impossible toute méthode active. Il faut alors changer de regard sur le rôle du prof, oublier ses références... j'ai toujours pensé que la pédagogie était destinée aux élèves et la psycho aux maîtres...."
C'est dire que l'on a vraiment du mal, même quand on le veut, à penser autrement.

En fait, il s'agit de renverser l'image que l'on a de l'organisation de la classe : l'habitude de la considérer comme une somme d'individus, qu'il faudrait aider individuellement et qui travaillent chacun pour soi, rend aveugles, à leur insu, les collègues les plus ouverts d'esprit.
Ce que j'appelle "faire de la classe un lieu démocratique", c'est considérer que chaque élève est responsable de tous les autres et que tous sont responsables de chacun. Cela veut dire, concrètement, que s'il y a un problème dans la classe, par exemple, celui que vous évoquez :

Mais que faire quand un seul élève est "isolé" très loin de tout le reste de la classe, trop loin pour créer ne serait-ce qu'une paire vraisemblable avec qui que ce soit de disponible ?

c'est à la classe de prendre en charge le problème, avec l'aide de l'enseignant, certes, mais non à lui seul. Sa tâche étant alors de mettre en place des situations qui vont aider la classe à résoudre le problème.
* Premier type de situation : provoquer, par exemple, une régulation (ce qui constitue, entre parenthèses, une excellente situation d'oral et donc également un très profitable moment d'apprentissages scolaires), avec pour mission de trouver une solution, à la mise en œuvre de laquelle l'enseignant apportera l'aide nécessaire.
Cette manière de fonctionner est possible : je l'ai vu exister dans plusieurs classes, y compris au CP !
* Mais le meilleur moyen de résoudre ce type de problème, c'est un moyen préventif.
Avant que ce malheureux enfant ne se trouve dans la situation que vous décrivez, il s'agit de donner le plus tôt possible aux élèves, l'habitude d'observer et de décrire le fonctionnement des groupes de travail.
Concrètement, cela signifie que le rapport oral qui suit toute tâche effectuée en groupes devrait toujours être en deux temps :
1- le rapport sur la tâche : "nous avions tel problème à analyser, voici les hypothèses de solution que notre groupe propose..."
2- le rapport sur la manière dont le groupe a fonctionné.

Certes, se pointe ici un risque de dérive non négligeable : si le rapport annonce, par exemple, que seule, la moitié de la tâche a pu être réalisée, et que cela est dû à un perturbateur dans le groupe, ou à des disputes qui ont fait perdre du temps, la tentation va être grande chez l'enseignant de sauter sur l'occasion de faire ici une leçon de morale... Qui va tout gâcher !!
On sait en effet que c'est l'image renvoyée telle quelle du fonctionnement du groupe, et l'absence totale de jugement de valeur, qui va permettre au groupe d'évoluer et de gérer ses problèmes et ses tensions.
Bien sûr, cette évolution ne va pas se faire du jour au lendemain : notre métier est un métier de patience et d'obstination . "On ne tire pas sur les fleurs pour les faire pousser plus vite", disait C. Freinet. Même si ceux qui nous dirigent tiennent un discours différent, c'est tout de même Freinet qui a le plus de chances d'être près de la vérité !
Apprendre à observer ce qui se passe dans un groupe, dans une classe, dans le pays, et essayer de le comprendre, sans le juger, c'est de loin la meilleure leçon d'éducation civique...
C'est pourquoi, je propose, notamment au cycle 3, avec des enfants qui n'ont pas eu l'habitude de travailler en équipes, de commencer l'année par un jeu d'observation d'un débat de groupe, extérieur à la classe — on comprend pourquoi —, (extrait d'un film ou magnétoscopé dans une tout autre classe dont les élèves ne sont pas connus.)
Pour cela, on distribue aux enfants réunis par deux, une grille d'observation, inspirée de la "Tabulation de Bales", très simplifiée, avec des missions différentes pour chaque groupe : les uns vont chronométrer les temps de prise de parole des participants, les autres, le nombre d'interventions positives, les autres le nombre d'interventions négatives, d'autres vont observer l'un des participants, ou l'animateur etc. etc.
On notera que cette situation ludique est en même temps une situation de découverte et d'apprentissage du fonctionnement des groupes, apprentissage qui fait si cruellement défaut aux adultes que nous sommes !
Ce n'est donc pas du temps de perdu pour le programme !
Chaque "paire" rend ensuite compte de ce qu'elle a trouvé, et l'enseignant installe un échange en grand groupe, qui se terminera obligatoirement par la rédaction et l'archivage de ce qui a été observé et appris.
Dans toutes les classes où ce genre de travail a pu être mis en place, on a observé une réelle évolution du comportement des enfants. Aucune valeur de preuve, certes. Mais on peut essayer : l'enjeu en vaut la chandelle, à mon avis.

J'ajoute votre phrase finale, cher Astro :

Ma position serait plutôt de leur dire "plutôt que de recopier son résultat, si tu lui demandais plutôt COMMENT il a fait pour l'obtenir ?". Mais évidemment, pour ça il faut parler à son voisin, et c'est encore une autre histoire !

Il est évident que c'est déjà un grand progrès...
Mais, s'ils avaient travaillé ensemble, au lieu d'avoir à copier, et s'ils avaient eu à rendre compte aux autres de leur travail... ne pensez-vous pas que l'efficacité serait encore plus grande ?